Dans cette émission exceptionnelle, l’arabisant Gilles Kepel revient sur la césure et la rupture fondamentales qui sont introduites dans l’histoire d’Israël, mais plus largement dans les relations internationales, par la commission du pogrom du 7 octobre. Présentant son livre, Le bouleversement du monde (Plon), Kepel explique que cet événement majeur a rebattu – et continue de rebattre – les cartes au Moyen-Orient, entre, d’un côté, des pays arabes sunnites, qui ne soutiennent pas la guerre contre Israël et, de l’autre, des groupes terroristes, plus ou moins manipulés et armés par l’Iran, qui poursuivent l’objectif de sa destruction. À l’heure de son enregistrement et compte tenu de la riposte israélienne annoncée, Gilles Kepel prévoyait un affaiblissement supplémentaire du régime des mollahs, tout en s’interrogeant sur la stratégie discutable de la guerre illimitée mise en œuvre par Benyamin Netanyahou.
Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018
Résumé
Chapitre 2 : le mythe rosicrucien
Ce mythe que l’on pourrait aussi appeler hermétiste ou alchimiste existe bien mais même s’il n’a pas de fondement réel, il n’est pas sans signification.
Ce mythe est apparu en Allemagne à partir de 3 textes publiés au début du 17ème siècle (1614).
Dans ces textes il est affirmé l’existence à travers toute l’Europe d’une fraternité qui s’adressait à tous les hommes de science et à tous ceux qui appelaient de leurs vœux une nouvelle réforme.
Les écrits des frères dits de la Rose-Croix annonçaient que leur philosophie était le fondement et la substance de toutes les facultés, de toutes les sciences, de tous les arts. Évidemment, un dessin si élevé annonçait la venue d’un temps fondamentalement nouveau. Dans un autre texte vers 1619, était mis en scène une cité improbable où les chrétiens authentiques appliquaient les vrais principes de l’Évangile dans l’amour et la Concorde.
La première certitude que nous avons aujourd’hui c’est qu’il n’exista jamais de fraternité de la Rose-Croix. C’était avant tout une fiction littéraire écrite par un certain Johan Valentin Andreae, qui en avait fait une sorte de supercherie, une sorte de plaisanterie. Ce n’est qu’à la fin du 17e siècle que l’on découvrit, dans son autobiographie posthume, que l’auteur expliquait la supercherie qu’il avait mise en place. En fait l’auteur appartenait à un cercle de jeunes intellectuels de Tübingen qui se désolait de la déchirure de la réforme et des violences vécues alors par les peuples d’Europe au nom des lois évangéliques. Il prônait une ouverture du protestantisme qui lui aussi tendait à se refermer sur des positions figées et intolérantes.
Et dans ces mêmes cercles estudiantins certains s’intéressaient au courant hermétiste qui connaissait alors un certain succès en Europe et qui souhaitait au sein de la réforme redonner des tendances mystiques que le Luthéranisme officiel avait combattu très durement.
Ce mouvement se développa donc surtout en Allemagne et eu une certaine influence en Grande-Bretagne. En revanche, la France fut peu touchée par ce mouvement en dehors de quelques remous soulevés par l’affaire dit des placards affichés dans Paris en juillet 1623 dans lequel on retrouve certains éléments de cette doctrine. On pense aujourd’hui qu’il s’agissait probablement d’un autre canular, dû cette fois-ci à des étudiants en médecine.
Cependant les idées propagées à cette époque sous la forme donc de thème Rosicrucien apparaissent dans certains livres. On ne peut manquer de voir dans l’œuvre du philosophe Francis Bacon, ‘’la nouvelle Atlantide’’, publiée en 1627, une utopie rosicrucienne typique. Puisque dans son livre il y est décrit un peuple ayant édifié une société inconnue du reste du monde, où les hommes vivent la pratique évangélique de l’amour fraternel.
Cette œuvre eut un retentissement important dans divers milieux intellectuels. En Angleterre il fut considéré à l’époque purement et simplement comme un manifeste rosicrucien. Évidemment, ce mouvement intellectuel n’épargna pas non plus la petite et lointaine Écosse. Dans la première moitié du 18e siècle, l’expression rose-croix avait donc fait son chemin et elle était devenue une appellation rigoureusement non protégée. Elle servait à désigner à peu près tout ce qui relevait de l’occulte, du mystérieux, depuis les superstitions populaires, en passant par la magie, les arts divinatoires et bien sûr l’alchimie. Les cercles rosicruciens proprement dits en fréquent compagnonnage avec la franc-maçonnerie, mais bien distincte d’elle, ce sont structurés en plusieurs temps au cours du 18ème siècle et on trouve vers 1757, l’existence de petits groupes organisés et entre 1777 et 1786, un ordre véritable va apparaître sous le nom d’ordre de la Rose-Croix d’or d’anciens systèmes. Les rituels nous sont en partie parvenus et ont été étudiés. Ils ont condensé tout ce qui a trait à l’hermétisme et à la kabbale en adoptant la révélation chrétienne comme fil conducteur. Cette société prospéra surtout en Allemagne et en Europe du Nord avec peut-être jusqu’à 1000 adeptes mais ne vécut pas au-delà de 1785.
Parmi ces rose-Croix d’or, on comptait d’assez nombreux francs-maçons aux appartenances multiples. Mais les rapports de la Rose-Croix avec la maçonnerie sont donc moins de l’ordre de la filiation ou de l’héritage que de celui de la construction d’un imaginaire.
Pour être clair il n’est guère possible aujourd’hui de soutenir que la Rose-Croix a été à l’origine de la maçonnerie spéculative. Il apparaît néanmoins que certains milieux maçonniques reprirent parfois le thème de la Rose-Croix notamment par exemple on peut évoquer le grade de souverain Prince ou Chevalier de Rose-Croix qui pendant longtemps a été tenu pour le Nec-Plus-Ultra de la maçonnerie française.
En conclusion, il a pu apparaître que le message des frères de la Rose-Croix pouvait répondre à cette attente diffuse de l’esprit évangélique. Et que d’aucuns, un peu partout en Europe, se reconnurent dans cet appel. Et cela laisse place évidemment au mythe qui vit encore.