Planche / “Liberté d’expression chérie”

“Liberté d’expression chérie”

En hommage à Charlie et tous les autres !

Faire une planche, oui mais sur quoi ? Vaste domaine, un sujet que je connais, que j’aime, qui me touche, bref je tourne en rond comme devant une page blanche qui s’allonge, alors que le choix s’offre à moi ! Et par rebonds successifs et d’actualités nous voilà 10 ans après … 10 ans après quoi ?

L’attentat contre le journal Charlie Hebdo ! Mais pas seulement, Charlie Hebdo est un symbole, symbole de nos Libertés !

Et comme dirait le Canard enchaîné “La liberté de la presse ne s’use que quand on ne sert pas !” et qu’on peut regretter parfois de ne pas avoir dit, comme quand l’on perd un être cher ! Donc vaut mieux une liberté qui gratte, qui insupporte ou que l’on ne sert pas que pas ou plus de liberté du tout !

Petites définitions essentielles : 

Le mot “caricatura” (du latin populaire “caricare” donne “charger”, “exagérer”, lui-même est issu du gaulois “carrus”, “char”), qui peut se définir par : une caricature est une représentation révélant des aspects déplaisants, risibles, accentuer, exagérer.

Education : instruire un enfant pour le rendre indépendant, responsable et libre de ses choix dans sa vie d’adulte. Humour : réflexions personnelles et parfois partagées sur le monde insolite voir absurde qui nous entoure et qui amène à voir la vie en souriant . Humour noir : idem mais en grinçant. Ironie : idem mais à l’envers. Sarcasme : idem mais un ton plus haut, donc plus bas ! 

Une courte histoire :

La liberté d’expression et la caricature ont une histoire aussi riche que complexe, marquée par des luttes sociales et sociétales, des évolutions culturelles et technologiques. Et des affrontements historiques, militaires, politiques et religieux que ce soit en France ou ailleurs. La période Antique, autour du bassin méditérannéen commence avec des dessins de portraits en Egypte ancienne, en Grèce sur des vases et du côté de Rome par des graffitis. Le pouvoir et les leaders en place découvrent l’autre côté de la pièce ou leurs visages y sont représentés. Au moyen-âge (500 à 1490), la discipline se poursuit plus discrètement, car elle est plus “encadrée” par le pouvoir royal et religieux. Mais des cathédrales en gardent quelques souvenirs ironiques si vous savez où lever la tête ainsi que les Grotesques, lettres en enluminures décoratives et fantaisistes. En 1317, le roman de Fauvel représente le roi Philippe le Bel par une tête d’âne, une critique ouverte de la corruption des puissants (roi et religieux) et en 1327, Umberto Eco et Jean-Jacques Annaud nous font frissonner dans une énigme ou le coupable selon les enquêteurs ou la police serait … la dérision ou son absence. La Renaissance (1400 à 1600) libère l’étaux, en 1450, l’imprimerie de Gutenberg fait son effet et se répand aussi vite que ses productions parallèles, 1470 elle arrive en France à la Sorbonne de Paris. Les guerres de Religion (1562 à 1598) passe aussi par une guerre des images et de la représentation des puissances adverses. C’est aussi la période des Grandes découvertes (à partir de 1400) où ces multitudes aventures sapent tant de principes verticaux établis. L’Ancien Régime (1589 à 1790) voit également continuer de se développer cette contre information du pouvoir en place, par le Protestantisme animé par Luther, qui s’autorise à réécrire les relations entre croyants et l’autorité papale. En Angleterre également, John Milton en 1644 avec son “Aeropagitica” qui défend la liberté de la presse. Et une pensée pour Molière, satire devenu éternel en seulement quelques années (1650 à 1670) et une vingtaine de pièces de théâtre. Le Siècle des Lumières (1700 à 1800), par ce grand mouvement philosophique ou se brasse les idées sociétales et connaissances scientifiques, continue de bousculer le religieux. Cette période marque l’ouverture au monde. De par ses nombreuses avancées philosophiques et découvertes scientifiques, les vérités supérieures et inamovibles établies vacillent.  La Révolution française (1789 à 1799) et Voltaire consacrent la liberté du “Tiers-État. Et on aurait même aperçu Marie-Antoinette en poule d’Autriche dans un journal. La liberté d’expression est inscrite à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (DDHC) de 1789. Elle fait partie de nos droits fondamentaux.La caricature est un droit constitutionnel. 

Ce qui nous amène au 19eme siècle, pour certains l’âge d’or de la caricature, car la discipline se diffuse pour continuer de dénoncer les injustices sociales et politiques. Avec entre autres pour la France, le journal Charivari, ce quotidien puis hebdomadaire qui vécut une centaine d’années (1832 à 1937). Nombreux dessinateurs se révélèrent au public comme Charles Philipon (son fondateur), Nadar aussi connu comme photographe, Gustave Doré, Honoré Daumier et tant d’autres … Charivari a marqué les mémoires pour un procès célèbre, en 1831 le journal “La caricature” a croqué Louis-Philippe 1er par une poire, condamné mais resté dans l’éternité par sa défense et par la publication du jugement dans le journal Charivari en forme de … poire, elle-même interdite de représentation ! 

En 1881, est prononcée la loi dite sur la liberté de la presse et donc aussi de ses responsabilités, un cadre légal, c’est la suite de l’article 11 de la Déclaration des Droits de l’Homme de 1789. Aux alentours de 1900, de nombreux journaux fleurissent, la carte postale fait aussi partie de la panoplie. On profite aussi de 1905 avec la Laïcité, où l’on sépare officiellement les églises de l’Etat, la satire se fait toujours plaisir !  Le 10 septembre 1915, “Le Canard enchaîné” est fondé, il subit de suite la censure militaire. Ses dessins nous accompagnent depuis toujours et chaque politique se voit ou c’est vu immortalisée par Cabu, Chappatte, Bouzard, Wozniak et tant d’autres, le Canard passe son centenaire haut la main. 1930 voit l’essor des Fanzines, parlant de tout et de rien entre passionnés.

Après la Seconde Guerre mondiale, la liberté d’expression est consacrée dans des textes comme la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948), mais son application varie grandement selon les pays. La caricature devient un outil universel de la critique politique et sociale, mais souvent malheur a celui qui ne corrige pas son trait assez vite ! Mai 68, de part ses dessins au style épuré et une phrase courte, les slogans percutent directement et grave nos mémoires ! Le journal “bête et méchant” Hara-Kiri, accouché en 1960 par Cavanna et le professeur Choron, fait les délices des prétoires, puis Charlie Hebdo prend le relai.

Charlie hebdo : en 2011, incendie du siège dans le cadre de l’affaire des caricatures de Mahomet (publication de 12 caricatures en 2005 dans un journal danois) et en 2015 attentat par les frères Kouachi. Le site internet de Charlie Hebdo.

Par ce rappel historique, on voit que la caricature accompagne le développement de l’Humanité, de par son regard qui va de “légèrement acidulé” à “délicieusement acerbe”, elle abonde nos idées, nos réflexions qu’elles soient personnelles, collectives et publiques, nul ne peut se passer du tamis de la presse, de ses éditorialistes et de ses croqueurs du quotidien pour alimenter sa pensée critique, car il s’agit bien de cela, penser avec discernement, arguments et contre argumentations, pour affûter son esprit, on est libre de choisir son média, même les plus mauvais, et de faire de nous des femmes et hommes libres de … choisir. Je pense à l’émission “Culture Pub”. Qui n’a jamais rigolé en voyant une bonne publicité sur un produit du quotidien dans une situation qu’il l’est beaucoup moins ? Même si chaque culture à son humour et ses codes, le tronc commun est là, inamovible, comme une symbolique universelle qui nous touche tous. Et pourtant nous consommons tous les jours, nous construisons cette société de consommation mais avec un peu plus de discernement. Je pense que cette deuxième face qui nous entoure est indissociable à notre équilibre et à notre développement, tel un mouvement perpétuel qui s’alimente lui-même. 

Dans notre démocratie, le fait de publier une satire, permet de questionner toutes les idéologies dominantes voire absolues, également les croyances religieuses et les figures d’autorité. En se permettant de bousculer les tabous, les caricatures et dessins rappellent que personne ne doit être au-dessus de la critique.

Liberté oui mais aussi quelques devoirs, cette liberté engendre nécessairement des responsabilités, une juridiction existe pour cela. Mais restreindre ces dessins reviendrait à instaurer une forme de censure et à limiter la capacité de la presse à s’exprimer librement, encore qu’après 7 millions d’amendes et 35 réprimandes il est grand temps de fermer l’antenne. Idem pour la musique, théâtre, exposition, concert … lieux de liberté que certains par l’autocensure cherchent à instaurer, par des influences, pressions, menaces, poursuites abusives et agressions. 

De nos débats publics à nos discussions de comptoirs, ils créent de la réaction, ils nourrissent les échanges, parfois vifs, controversés ou sans écho, le trait juste fait toujours son chemin, comme l’eau qui coule de la source.  

Parfois quand le sujet est trop grave, conséquent, intime voire tabou. L’humour du crayon permet d’aborder le sujet avec plus de légèreté et de recul. Le sujet sera abordé mais permettra de désamorcer les réflexes et réactions trop hâtives. Également quand le sujet est complexe, inhabituel ou inconnu, prendre un peu de recul est nécessaire. Le pluralisme et la diversité des médias permettent d’y répondre, un dessin de presse étranger, anglo-saxon, africain permet de relativiser beaucoup de choses. Je pense aux Une du New Yorker, aux dessins du Courrier international et à l’association Cartooning for peace. 

Cet art délicat n’est pas inné, il s’acquiert, se travaille et donc il va de soit qu’il s’enseigne à l’école. Cela permet d’apprendre à décrypter l’actualité en général et les médias en particulier. Aussi cela stimule la créativité et l’humour, nous fait découvrir l’histoire de l’art et l’histoire du monde. Le fait de s’exprimer par des biais différents, exerce aux débats ainsi que ses engagements personnels, tel la plaidoirie de l’avocat défendant les libertés !  

Notre culture générale se forge tous les jours, nos avis et convictions aussi, tous les jours nous dosons nos envies de chambouler le système, mais quid de l’autre, le différent, le barbare du jour, mais ayant tout de même sa sensibilité propre. Encore plus, habitant une planète globalisée ou beaucoup trop de choses circulent instantanément. Les sujets ne manquent pas et les enfants engendrés par elle n’ont plus car la liberté d’expression, liberté fondamentale à fait naître et reconnaître la liberté d’opinion, la liberté de la presse, la liberté de manifestation et le droit de grève. Qu’il est heureux de s’apercevoir qu’un trait de plume sur une feuille vierge est pu et continuera de faire s’écouler la liberté, tel un ruissellement parfois douloureux ! 

Et il va nous en falloir une sacrée dose d’humour ou de dérision, de culture générale et de discernement dans cette nouvelle époque que nous franchissons. Politique et relations internationales se durcissent tous les jours, où réalité se mêlent d’informations alternatives afin que le monde corresponde à certains désirs insensés. Car ce nouveau continent informationnel est parsemé d’embûches, où voir est trompeur, vouloir comprendre devient confus, croire est à la fois savoir et raison, mais comme mon avis est plus liké que le tien, j’ai donc raison ! Les fondamentaux sont en péril car la Police de la pensée approche, la fameuse police du roman “1984” écrit en 1949 par George Orwell et sa Novlangue qui réécrit l’histoire passée en fonction du sujet du moment. 

Ce qu’on aime, ce qu’on envie, ce qu’on aime pas, ce qu’on déteste, interdire ce qu’on aime pas mais qu’est-ce qui va rester et qui choisit ! Interdire, donc nier l’idée, nier la personne, la faire disparaître ? L’autre dérange, l’autre est barbare, donc c’est la guerre !!!  Il ne va pas rester grand monde très rapidement … 

Monde étrange ou vouloir “porter la plume dans la plaie” peut s’avérer mortel, certains en voulant les faire taire en les tuant, les ont rendus iconiques, immortels. Il est étrange de tenir en main de simples papiers devenus de tels monuments historiques, le poids, le symbole créé se ressent !

Merci à Richard Malka pour sa plaidoirie publiée “Le droit d’emmerder Dieu!”.

Et pour finir, comme un petit dessin vaut mieux qu’un trop long discours, il n’est jamais trop tard pour se fendre … la poire 😉

j’ai dit. 

Chapitre 5 : les premiers francs-maçons en France

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 5 : les premiers francs-maçons en France

Comme nous l’avons vu précédemment, à partir de 1689, après la défaite de la dynastie des Stuarts chasser du trône par la révolution de 1688, on estime que 40 000 à 50 000 jacobites, donc les perdants, immigrèrent vers la France dont une bonne moitié de militaires. On sait également que La Grande Loge d’Irlande qui nous est seulement apparu officiellement en 1725, fut la première à donner patente à des loges militaires. Par conséquent rien n’interdit de penser que des francs- maçons aient pu se trouver parmi les troupes qui vinrent en France à partir de 1690.

Qui étaient-ils ? Nous n’avons que peu de témoignages écrits et fiables mais seulement quelques parcours individuels plus ou moins véridiques qu’ils seraient trop long d’aborder ici. Ce que l’on sait à peu près cependant c’est qu’une loge appelée Saint-Thomas se réunissait à la taverne du louis d’argent. Composée environ de 25 Frères, dont 5 sont français seulement, ses membres étaient à peu près tous des aristocrates et des militaires. Aucun de ses membres n’a laissé de traces perceptibles dans l’histoire maçonnique française au cours de la décennie qui a suivi c’est-à-dire celle qui a vu la véritable structuration de la maçonnerie en France. Ce sont d’illustres inconnus comme des ombres qui passent écrivent les auteurs.

Pour en revenir à la loge Saint-thomas au Louis d’argent et selon une tradition peut être apocryphe (dont l’authenticité est douteuse) une nouvelle loge portant le même nom se serait créée en 1729 et se réunissait au même endroit et tout ce que l’on sait c’est qu’elle contacta la Grande Loge de Londres pour obtenir d’elle des patentes de constitution (reconnaissance officielle de la nouvelle loge par la grande loge) qui lui furent accordées en date du 3 avril 1732. Cette fois-ci nous avons des écrits. La loge au Louis d’argent vécu apparemment jusqu’à la mort de son vénérable maître fondateur un certain Lebreton disparu en 1767 et en 1769 on signala que cette Grande Loge est éteinte.

Il y a également encore 2 ou 3 loges de Paris dont la chronique nous a laissé les noms mais dont nous ne savons presque rien, pas même si elles ont réellement existé notamment Saint Martin et Saint-Pierre Saint-Paul toutes les deux supposées à avoir vu le jour en 1729.Il n’en subsiste à cette époque pas la moindre trace.

Jusqu’au début des années 1740 la franc-maçonnerie en France fut donc essentiellement parisienne ; les créations demeuraient rares en province et beaucoup furent d’abord sous obédience anglaise c’est-à-dire le plus souvent dîtes régulières. On peut du reste s’interroger sur l’importance qu’il faut accorder à leur effectivité souvent évanescente. Mais on peut supposer que ces loges furent avant tout des lieux de sociabilité au niveau social modeste quoique varié mais finalement assez équilibré. Certains personnages importants et influents qui les composent, même peu nombreux, cesseront tout au long du siècle de rehausser de leur prestige ces loges et on peut réellement s’interroger sur leur influence réelle. Peut-être virent ils surtout dans la maçonnerie un délassement de l’esprit qui ne devait surtout pas subvertir un ordre social auquel il demeurait particulièrement attaché.

La fondation parisienne de la maçonnerie en France apparaît au bout du compte comme le premier et finalement dernier pas d’une courte histoire.

Entre 1732 et 1744 se créent progressivement beaucoup de loges en province. On peut citer Dunkerque peut-être en 1721 ou Arras mais elle dès 1687 mais qui repose vraisemblablement sur un faux document. On parle également en 1735 d’une très ancienne qui aurait travaillé sur Metz. On a également une loge à Valenciennes. En fait les sources documentaires accessibles aujourd’hui sont peu nombreuses. Mais dès la fin des années 1730 il apparaît des loges à Marseille, au Mans, au Havre, à Dunkerque ou dans la région de Toulouse. Ensuite à l’assemblée générale de la Grande Loge en 1744, 20 loges de Paris étaient représentées ainsi que 19 de province et déjà 5 loges régimentaires. La maçonnerie était désormais bien présente à Nantes, Rouen, Caen, Rennes, La Rochelle, Albi, Carcassonne, Calais, Lille et même à Versailles et à Saint-Domingue. On le voit, à travers l’apparition de ces loges disséminées et sans unitées mais non sans lien, un modèle se met en place : celui d’une maçonnerie à la fois libre et autonome en vertu de l’attachement viscéral des hommes de l’ancien régime aux libertés locales toutefois ouverte aux informations venues de Londres, souvent soumises et encore soucieuse de sa reconnaissance. Ainsi allait s’élaborer, après une gestation silencieuse de plusieurs dizaines d’années, une version spécifique de la maçonnerie fortement adaptée à la culture et aux contraintes sociales, politiques et religieuses de la France catholique et absolutiste, mais travaillée par les faiblesses de la régence et l’incertitude d’un règne naissant aboutissement de la greffe imprévue d’une institution typiquement libérale protestante et britannique. A partir des années 1730 on peut compter entre 300 et 500 francs-maçons en France. Pour terminer je vous citerai 4 vers qui ont été reproduits dans presque toutes les divulgations maçonniques du milieu des années 1740, je cite :
Pour le public un franc maçon
Sera toujours un vrai problème
Qu’il ne saurait résoudre à fond
Qu’on devenant maçon lui-même.

Planche 5 minutes de symbolisme « Notre Dame de Paris »

Dans la planche qui suit, voyez là la simple expression d’un enthousiasme personnel, une invitation à vivre, à notre mesure, une expérience similaire à celle qu’ont vécue tous ceux qui ont reconstruit Notre-Dame.
La cathédrale Notre-Dame a rouvert ses portes le 7 décembre dernier. Les maîtres d’œuvre, les compagnons du devoir et les apprentis qui ont œuvré pendant 5 ans à ce chantier sont des constructeurs. Ces architectes, ces tailleurs de pierre, ces charpentiers, ces archéologues, ces échafaudeurs, ces grutiers, ces cordistes, ces spécialistes du plomb, du vitrail ou du pavement ou ces restaurateurs de peinture, sont des constructeurs. Tous sont animés par une recherche du vrai, une quête du beau ; tous approfondissent et transmettent leur savoir-faire ; tous cultivent des hautes valeurs morales et humanistes ancestrales.
Alors à votre avis, de quels constructeurs voudrais-je vous parler ce midi ?
Les Constructeurs de Notre-Dame comme les Constructeurs réunis ici sont entrés dans le chantier tête baissée, pour se retrouver dans un tourbillon émotionnel géant. Les uns comme les autres ont sur leurs épaules une responsabilité énorme : celle de donner à l’édifice une cohérence totale. Leur engagement est au service d’une œuvre qui est plus grande qu’eux, une œuvre qui dépasse les individualités. L’intérêt de l’édifice prime sur les volontés personnelles.
Pour réussir, ils ont dû montrer de nombreuses qualités morales, j’en citerais trois.
En premier lieu, faire preuve de courage. Les Constructeurs de Notre-Dame ont dû en effet progresser sur des échafaudages gigantesques pour réaliser une tâche parfois difficile, au vent et à la pluie. Les Constructeurs de cette loge doivent progresser par leur travail, encore et encore, dans leur connaissance et leur réflexion. Parce que le jour de notre initiation, nous avons tous fait le serment suivant : « Je promets de travailler avec zèle, constance et régularité à l’œuvre de la Franc- Maçonnerie ». Et parce que nous le savons bien : « De longs et pénibles efforts seront encore nécessaires avant que notre tâche soit achevée. L’heure du repos n’est donc pas arrivée. » Ainsi, dans l’un comme l’autre chantier, le défaitisme ou la résignation n’ont pas cours.
La seconde qualité réside en la confiance réciproque. Cela signifie que chaque Constructeur doit se sentir responsable de l’œuvre, comme responsable de ses frères et sœurs et comme responsable de lui-même. La confiance suppose aussi qu’il n’y a pas de place pour la petite phrase, pour le mot gratuit, pour la mauvaise foi. Il n’y a pas de place pour la remarque déplacée, pour la moquerie ou pour l’ironie qui blesse. Ce serait autant d’occasions de grignoter les liens de confiance qui nous unissent. Au lieu de cela, imposons-nous la franchise et la spontanéité bienveillante. La scène du parjure nous le rappelle à chaque initiation : « Cette pâle clarté, les épées que vous voyez pointées sur cet homme, sont des symboles. Ils vous annoncent que vous ne devez en aucun cas trahir votre serment, car vous pourriez mettre en péril les personnes qui vous ont fait confiance. »
Enfin, en troisième lieu, l’exigence. L’exigence d’un travail de qualité, où chaque détail a son importance. Je cite l’architecte en chef qui a supervisé la reconstruction de la cathédrale : « dans le chantier de Notre-Dame, il y a en réalité 1000 chantiers et sur chacun de ces chantiers, 1000 détails à vérifier. » N’en est-il pas de même pour notre loge ? De telles aventures sont des aventures humaines qui fatalement produisent des heureux et des mécontents car l’exigence est, à tort, parfois prise pour de l’intransigeance. Si nous avons envie que notre œuvre soit la plus grande et la plus belle, si nous voulons éprouver la satisfaction du travail bien fait, alors nous n’avons pas le choix : nous devons abandonner notre fierté sur les parvis – est-ce cela laisser ses métaux ? – pour rechercher la rigueur et une forme d’idéal. On se le dit d’ailleurs souvent à la sortie : « ce soir, c’était une belle tenue ! ». Cela veut dire que le chantier a « élevé nos esprits vers l’idéal de notre Ordre » (comme le demande le V :. M :. lors de la chaîne d’union), et que nous avons connu l’égrégore, tout comme les constructeurs de cathédrale, par leur formidable élan et leur enthousiasme, ont sans cesse cherché la hauteur et l’équilibre de l’édifice.

Le coq fut le dernier élément à être posé au sommet de la flèche de Notre-Dame, tout en haut, au-dessus de la croix. Je ferai peut-être un jour des 5’ minutes sur le coq car c’est un animal avec une charge symbolique puissante. Mais aujourd’hui, je me contenterais de le relier à la vigilance et à la persévérance, qui sont toutes deux présentes et associées dans le cabinet de réflexion. Le coq vigilant est un symbole de l’éveil au matin et le coq persévérant rythme les moments de la journée, celle du travail sur le chantier. La vigilance est une qualité qui nous invite à rester éveillé et curieux, qui nous invite à la sagesse et qui maintient la flamme du désir initiatique. La persévérance évoque la fidélité et l’effort dans la durée ; elle combat l’impatience, mais aussi l’accoutumance ou le découragement.
Pourquoi nos frères et nos sœurs nous reconnaissent-ils comme francs-maçons ? Parce qu’à l’instar des constructeurs de Notre-Dame, les Constructeurs réunis ici sont tenus de se dépasser, d’aller au- delà de leur propre satisfaction, et de développer des qualités de courage, de confiance et d’exigence, des qualités de vigilance et de persévérance, au service d’un édifice plus grand que nous, un édifice qui nous porte, au service d’une formidable aventure humaine qui ne s’arrête jamais.
J’ai dit.

Planche « 12 lacs d’amours », portez nous…

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !  

Suspendez votre cours :  

Laissez-nous savourer les rapides délices  

Des plus beaux de nos jours ! »  

Par cette célèbre strophe du poème « Le Lac » d’Alphonse de Lamartine écrit en 1820,  je voudrais démarrer ma planche pour traduire ma quête impossible d’une suspension du temps dans de tels moments comme celui que je vis à l’instant devant vous tous. 

Mon père me la récitait d’ailleurs, je pense à lui.  

….  

Après cette évocation profane qui touche l’intime, je vais tout d’abord me concentrer sur la symbolique  des « 12 lacs d’amours » en franc-maçonnerie, concept qui évoque l’aspiration à une purification de l’âme, la connaissance intérieure et la fraternité. 

Je le développerai ensuite comme reflet de ma quête spirituelle liée à la franc-maçonnerie pas très  éloignée vous le verrez de ma montagne savoyarde d’origine qui n’est jamais bien loin ! 

Et enfin je terminerai par une confidence…  

….  

Les philosophes, en particulier dans la pensée platonicienne et dans la philosophie romantique, voient  dans les lacs un espace de réflexion où le miroir de l’eau incarne l’accès aux vérités supérieures.  En effet, comme le disait Platon, la contemplation est un moyen d’atteindre l’intelligible, au-delà du monde  sensible. 

Cette métaphore est reprise dans la franc-maçonnerie, où le lac symbolise le cheminement spirituel, la  purification et l’accès à la connaissance cachée. 

Dans la symbolique maçonnique, le concept des « 12 lacs d’amour » représente les étapes de la  recherche spirituelle et de l’amour universel, où chaque lac incarne un aspect de l’amour purifié et  transcendant.  

Cette vision poétique et mystique des lacs d’amour invite à voir chaque lac comme une étape vers l’union  avec le divin.  

Ces 12 lacs pourraient symboliser les 12 étapes de la quête intérieure, chacune révélant un aspect  différent de l’âme, jusqu’à atteindre l’amour parfait et la connaissance ultime. 

Les 12 lacs d’amour se rapprochent de l’idée de purification et de connaissance intérieure, éléments  centraux de la franc-maçonnerie. Chaque lac peut être vu comme un miroir symbolique permettant aux  maçons de réfléchir sur leur progression spirituelle. Ce cheminement passe par l’amour de soi, de l’autre,  et de l’univers tout entier. 

La symbolique des lacs d’amour renvoie à la tradition initiatique, où l’individu, en quête de la lumière, doit  traverser différentes étapes de purification et de prise de conscience pour accéder à la sagesse. Ce  parcours initiatique, représenté par les 12 lacs, vise à faire grandir en chaque initié l’amour universel,  ultime stade de l’évolution spirituelle dans la franc-maçonnerie. 

Ce sont enfin des ornements symboliques héraldiques constitués de nœuds formant des boucles entrelacées, souvent disposés en chaîne ou en frise. Ils apparaissent sur le tapis de la loge, ou dans les  décorations symboliques du temple et se terminent par une houppe dentelée.

Ces nœuds constituent une protection des travaux des maçons vis-à-vis de l’extérieur du temple. En résumé, en Franc Maçonnerie, la symbolique de ces 12 lacs d’amour couvre successivement :  

• L’union et la fraternité entre les frères et sœurs maçons.  

Les nœuds entrelacés représentent la solidité des liens d’amitié et de fraternité qui unissent les  membres de la loge.  

Chaque maçon est lié à l’autre de manière indissociable, formant une chaîne d’union spirituelle et  universelle, lorsque les membres de la loge se tiennent par la main, formant un cercle symbolique. 

• L’éternité et l’infini en évoquant un mouvement sans fin (proche du symbole de l’infini en  mathématique). 

Cela rappelle que les idéaux maçonniques, tels que la recherche de la vérité, l’amour et la  fraternité, sont intemporels. 

• La solidarité et la protection puisqu’un nœud bien fait ne se défait pas facilement, tout comme la  solidarité maçonnique : les frères et sœurs se soutiennent mutuellement dans toutes les  épreuves. 

Je dirais même qu’en regardant la corde de près dans le nœud, nous voyons qu’elle revient vers  nous et repart vers l’autre comme si elle nous amenait à notre introspection infinie je l’ai déjà  indiqué. 

• L’amour spirituel avec une dimension affective et spirituelle. L’amour fraternel est une valeur  fondamentale en franc-maçonnerie. Ces nœuds figurent alors un amour pur, désintéressé et  universel. 

• Une référence initiatique. L’initié, en s’engageant sur ce chemin, tisse des liens avec les autres et  avec l’univers symbolique maçonnique. 

Inséparable des lacs, le chiffre 12 peut être vu, entre autres, comme en référence aux 12 nœuds de la  corde du maçon.  

Cette corde lui permet de réaliser facilement son ouvrage, en mettant successivement, bout à bout, des  alignements de 3, 4, puis enfin 5 nœuds afin de tracer un angle droit parfait.  

… 

Mais permettez-moi, pour cette planche, de ne pas me priver d’un retour vers mes montagnes de Savoie,  comme je le fais régulièrement avec celle que j’aime  

Ces montagnes me manquent déjà après ces quelques mots ! 

Je l’avais d’ailleurs indiqué lors de mon initiation, citant mes dernières lectures d’alors, « Psychisme  ascensionnel » d’Etienne KLEIN, à moins que ce ne soit « Blanc » de Sylvain TESSON. 

J’ai eu la chance de pratiquer intensément l’alpinisme, en développant ma technique pour gravir jusqu’à 7  sommets à plus de 4000m dans les Alpes. 

Dans les premières initiations, le guide vous apprend les techniques de base.  

Votre première initiation concerne la manipulation des cordes d’escalade, pas de vulgaires « lacets »  (autre origine des lacs), mais une corde de survie !  

Il s’agit alors d’apprendre les nœuds.  

Le « nœud de huit » est le premier nœud appris par tout alpiniste débutant !  

Ce nœud de huit est en effet la clé de survie de tout alpinisme. Ce nœud permet de se relier en  « cordée » d’alpiniste, et permet de palier à toute casse d’équipement d’ascension.

Encordés ainsi, vous apprenez très vite à évoluer sur glacier puis lors d’ascensions.  La survie de l’autre est liée (tiens tiens…) à la qualité de nœud lorsque l’un chute dans une crevasse et  que l’autre doit contenir cette chute en partant de l’autre côté.  

Ce n’est pas intuitif, je vous l’accorde

Des exercices sont réalisés, par exemple sur la mer de glace, pour que cela devienne un réflexe d’entraide  et de survie au final. 

D’ailleurs, s’approprier, comme je l’entends dans la cité, l’expression « 1er de cordée », n’a pas de sens  sans rappeler le contexte alpin.  

En effet, et vous l’avez compris maintenant, le 1er a besoin du 2nd et ainsi de suite.  Ceci dans des situations d’urgence que le 1er aurait tort d’oublier…  

Pour clore ce chapitre alpin, je souhaiterais indiquer que ce fameux « Nœud de huit » est parfois  appelé « nœuds en lacs », « lacs d’amour » en héraldique, ou …… « Nœud de Savoie ». …. 

…. 

La liaison est toute faite ! 

…. 

Pour finir, vous l’avez compris,  

Dans le monde profane, le « lac » est la rencontre entre l’âme humaine et l’infini, un lieu de quête  poétique, philosophique et spirituelle où se rejoignent le visible et l’invisible. 

Ce mot provient du latin « lacus », « réservoir, bassin ».  

Il peut donc être le réceptacle de toutes les imaginations humaines, 

Lamartine, avec son poème, l’illustre parfaitement au Bourget en SAVOIE, beau département s’il en est ,  avec le passage du temps et le souvenir des amours perdues, ici la mort de Julie CHARLES, son amour,  décédée peu après leur rencontre en ce lieu. 

Mais cette définition, miroir de l’âme et lieu d’amour … a failli me perdre lors de cette rédaction.  

Bien que simples homonymes et d’étymologie différente, ces 2 mots “lac” m’inspirent  tout autant dans ma démarche maçonnique. 

Heureusement, la Franc-maçonnerie peut servir de salut en m’offrant un chemin de purification et  d’initiation tout le long des « 12 lacs d’amour », qui illustrent la progression spirituelle vers l’amour  universel et la sagesse.  

En résumé, les lacs d’amour incarnent les idéaux maçonniques d’unité, de fraternité et d’amour universel,  tout en évoquant un lien indestructible et intemporel entre les maçons et leurs valeurs communes pour  l’œuvre qui les unit. 

En toute confidence, je vais vous avouer une chose…  

Il m’arrive lors de tenues de m’égarer en pensées en observant les lacs du temple depuis ma place  d’apprenti et de m’y perdre quelques instants. 

J’y vois d’abords mes lacs de Savoie et d’ailleurs, qui m’ont vu grandir, j’en ai au moins 12 en tête ! 

Je les imagine ensuite m’accompagner dans mon parcours maçonnique.  

Ces 12 lacs d’amours m’ont vu naître et me verrons grandir en FM pour progresser de lac en lac comme  je l’ai fait toute ma vie en randonnant pour découvrir, rencontrer et me découvrir. 

Je ressens alors un sentiment d’apaisement en écoutant les planches ou les échanges de la Loge. … 

« O temps suspends ton vol » !… 

Je me suis senti tout petit en rédigeant cette planche, émergeant des profondeurs de mon lac profane  pour, je l’espère, cheminer le long de l’éternité maçonnique.

J’ai dit.  

Chapitre 4 : la fondation de la première Grande Loge de Londres

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 4 : la fondation de la première Grande Loge de Londres

C’est le jour de la Saint-Jean d’été de 1717 que naquit une certaine forme organisée de franc-maçonnerie. Ce jour-là, selon le pasteur Anderson, 4 loges se réunirent dans une taverne londonienne, l’oie et le grille pour former une Grande Loge. Cette réunion semble avoir été dictée par la difficulté qu’avaient ces loges à se maintenir en vie. Elles décidèrent donc tout simplement de se soutenir mutuellement. En effet, ces loges rassemblaient principalement des gens de condition modeste, des artisans et des petits commerçants. Et elles n’avaient évidemment aucun lien institutionnel, à la manière écossaise, avec le métier de maçon. Leur objet majeur, à l’instar des confréries qui existaient depuis des siècles d’abord autour d’un village, puis au sein des métiers étaient manifestement la bienfaisance et l’entraide. 

Mais la fondation de 1717 pourrait n’être elle-même qu’une fable, l’ultime mythe fondateur des origines de la maçonnerie spéculative. Plusieurs éléments permettent en effet de remettre aujourd’hui en question cette légende dorée. Par exemple, ce n’est seulement que dans l’édition de 1738 qu’Anderson expose les minutes des assemblées supposées de la Grande Loge entre 1717 et 1723. Les livres des procès-verbaux de la Grande Loge de Londres et de Westminster ne commencent d’ailleurs qu’en novembre 1723. Avant rien, aucune indication mentionnant un second volume antérieur. De plus, il apparaît simplement qu’en 1716 la Taverne du Pommier, une des 4 loges créatrices de la Grande loge d’Angleterre en 1717 n’existait plus. Faut-il donc renier la fondation de 1717 ? 

La réponse est en fait, évidemment plus compliquée qu’il n’y paraît. Il demeure néanmoins acquis que l’on devait compter des maçons et quelques loges à Londres avant 1717. Mais sans doute très peu et dans un état presque fragile. On ne peut rien dire de plus précis à ce sujet. Il est vrai que les maçons de cette époque ont réactivé, en la transformant de fond en comble, une société populaire, anciennement de métier, devenue avant tout une société d’entraide. Ils lui ont accordé des moyens financiers sans précédent grâce à l’arrivée providentielle ensuite de grands maîtres richissimes, tout en exigeant en contrepartie de ses membres qu’ils se conforment au nouvel ordre politique et cultivent la tolérance interreligieuse qui avait donné au pays la paix civile tant désirée. 

La fiction de 1717 s’inscrit dans cette préoccupation. Elle ne relève pas d’une volonté cynique de tromper, mais d’un désir sincère d’assigner symboliquement à une fraternité désormais gouvernée par l’élite sociale, la source populaire et fraternelle. Un des grands maîtres, Desaguliers charge, le pasteur James Anderson, de rédiger de nouvelles constitutions à partir de celles des anciens devoirs. En 1723, l’ouvrage fut aussi officiellement terminé et offert au nouveau Grand maître. Les nouvelles constitutions avaient évidemment une fonction politique. Leur plan, exactement calqué sur celui des anciens devoirs, s’ouvraient par une longue histoire du métier compilée par Anderson. Ce message était clair. La Grande Loge se situait dans le droit fil des récits qu’on lisait déjà aux jeunes apprentis des chantiers 3 siècles plus tôt. À partir de ce moment-là, dans ce climat bien particulier, la Grande Loge, clairement dominée par l’élite hanovrienne les vainqueurs de la glorieuse révolution de 1688), apparaît comme un des lieux où pouvaient à la fois s’accomplir la réconciliation des élites et du peuple, notamment par les bienfaisances actives. Et s’affirmait la volonté commune de donner à l’Angleterre une paix civile et durable après un 17ème siècle ensanglanté par les guerres civiles et autres troubles.

Quoi qu’on puisse en penser, la maçonnerie moderne naît alors que s’établit, dans une grande monarchie européenne, un pouvoir parlementaire fondé sur le libéralisme politique et la tolérance. Sur le plan religieux, l’appartenance à une communauté ecclésiale faisait partie intégrante de l’identité sociale. Ne nous y trompons pas, dans l’Angleterre du 18e siècle, cela veut simplement dire liberté de choisir sa religion car il allait de soi que chaque homme en avait une. Et sur le plan intellectuel, et c’est sans doute le trait le plus frappant à l’origine et cependant le plus souvent méconnu, entre 1720 et 1750, la Grande Loge d’Angleterre de Londres a compté dans ses rangs l’élite des milieux scientifiques anglais et un nombre impressionnant de membres de la société royale de Londres.

Entre 1725 et 1730, plus de 80 maçons anglais appartiennent à cette élite sur à peu près 250 personnes à l’époque. La proportion est évidemment considérable. C’est dans ce climat politique et intellectuel qu’apparaîtront les futurs pionniers de la maçonnerie en France. Il est certain qu’ils en porteront la mémoire collective, l’état d’esprit et aussi les ambiguïtés. S’ils prirent pied sur le continent, ce ne fut pas du reste pour y propager la maçonnerie. Mais parce que leur engagement politique et religieux les avait contraints. Les premiers francs-maçons en France, nous le verrons la prochaine fois, furent des fugitifs et des exilés.

Le miroir

V :. M :. et vous tous mes frères et sœurs en vos grades et qualité, cette planche s’intitule « Le  miroir » et est librement inspirée des échanges que nous avons eus lors du dernier chantier  d’apprentis en chambre du Symbole.  

Nous le savons tous, un miroir est avant tout une plaque de métal poli, comme tous ces exemplaires  que l’on peut voir au département des antiquités de nombreux musées, plaque qui fut associée plus  tard à une feuille de verre, permettant de la protéger et d’améliorer son efficacité réfléchissante.  

Je pourrais d’abord vous dire que, depuis les travaux de René Descartes, le miroir est étroitement lié aux lois optiques qui décrivent le comportement de la lumière et à l’idée d’énergie. De forme  concave, le miroir est en effet présent dans de nombreux systèmes optiques convergents comme les  télescopes ou les fours solaires, afin de concentrer la lumière en un point. Et de forme convexe, il  devient « miroir de sorcière » et permet au contraire de diffuser largement les rayons lumineux.  

Le miroir a longtemps été perçu comme un objet mystérieux, un objet qui a alimenté les légendes et  les croyances populaires. Je pourrais donc vous dire ensuite qu’il est considéré comme un outil  puissant qui possède de nombreuses propriétés, parfois bien réelles mais plus souvent symboliques,  et qui toujours se traduisent par des usages surprenants. Ainsi dans l’art chinois du Feng-Shui, les  règles rituelles associées au miroir sont singulières : il ne faut par exemple jamais placer de miroir à  l’entrée de la maison, ni dans la chambre. Dans d’autres traditions, comme dans le judaïsme, on  couvre les miroirs de la maison après un décès afin de respecter l’intimité du défunt mais aussi celle des proches. Depuis toujours, le miroir a fasciné les hommes et sa symbolique qui lui est propre a été une source de questionnement et un outil d’introspection.  

J’aurais pu vous dire tout cela. Mais ce soir, c’est sur un autre chemin que j’aimerais vous entraîner.  Reprenons du début et laissez-moi vous guider. La scène se situe en Grèce, au IVe siècle avant J.-C. Le  pèlerin avait voyagé pendant plusieurs jours. A dos de mulet, il avait emprunté des sentiers de  chèvre, bordés de cyprès et d’oliviers. Il avait bravé tantôt les lignes de crête, tantôt le bord du ravin  qui sépare le massif du Parnasse de celui de l’Hélicon. Soudain, le chemin fait un coude vers la  gauche et le pèlerin discerne l’ouverture du défilé naturel qui mène à la ville de Delphes. Très vite, il  aperçoit l’entrée du sanctuaire et il ressent déjà le frisson inséparable de la quête – quasi initiatique –  qu’il va entreprendre et qui va le mener jusqu’à la prophétie. Sur le chemin en lacet qui monte  jusqu’au temple, il est émerveillé par toute l’harmonie et la beauté des édifices qu’il dépasse. A  l’entrée du temple, il découvre, gravés sur le fronton, sur les colonnes et sur les parois du pronaos de  mystérieux symboles et surtout un grand nombre d’aphorismes, sur lesquels il va devoir s’interroger.  Parmi eux, il va peut-être s’attarder sur celui-ci : « réfléchi à ce que tu as appris », ou encore celui-là :  « souviens-toi que tout est périssable ». Mais à coup sûr, il ne manquera pas la fameuse maxime  delphique « connais-toi toi-même ». Après avoir offert un sacrifice à Apollon, le visiteur posait sa  question à la Pythie qui rendait l’oracle du dieu et lui apportait une réponse bien souvent sujette à  interprétation.  

« Connais-toi toi-même ». Cet aphorisme a connu une grande postérité par l’utilisation qui en est  faite par Socrate, mais aussi par de nombreux penseurs avant et après lui. Un contresens serait de  penser qu’il nous invite à une introspection psychologique dans le cadre d’un développement  personnel. Non, il ne s’agit pas de cela. Il nous invite plutôt à nous questionner radicalement, à  interroger nos ressorts les plus profonds, à nous rendre juge de chacune de nos pensées voire de nos  contradictions. Il nous pousse à la lucidité, la lucidité de savoir que notre propre entendement  contient des faiblesses, la lucidité de savoir que notre discernement peut être entravé par nos 

émotions, et que nos connaissances sont limitées. Il nous invite par conséquent à penser qu’aucune  certitude n’est inébranlable et qu’il n’y a aucune vérité définitive.  

Tout comme le pèlerin de Delphes, le rituel initiatique invite le récipiendaire à faire face à lui-même à  plusieurs reprises – au moins deux – lors de la cérémonie : au tout début, lorsqu’il écrit son testament  philosophique dans la solitude, dans le silence et la pénombre du cabinet de réflexion, cerné de  phrases mystérieuses qui sont autant de mises en garde. A ce moment de l’initiation, on demande à  celui qui est encore profane de s’interroger sur ses valeurs les plus profondes, celles auxquelles il  croit aujourd’hui, celles auxquelles il milite même peut-être et celles qu’il voudrait laisser après sa  mort. Et à la toute fin de la cérémonie, après que le Vénérable Maître l’eut invité à scruter  l’assemblée à la recherche d’éventuels ennemis, celui qui vint tout juste de recevoir la lumière est  prié de se retourner pour se retrouver… face au miroir. Nous avons tous été marqués par cette scène  et nous en avons tous un souvenir aigu ancré dans notre mémoire. Souvenez-vous de votre réaction  à ce moment précis, le jour de votre initiation. Pour ma part, je me rappelle avoir été stupéfait de  découvrir mon image, comme si c’était la première fois que je me voyais, alors que les paroles du  Vénérable Maître résonnaient à mes oreilles : « Notre plus grand ennemi est souvent en nous-mêmes  et il nous faut d’abord combattre nos erreurs, nos préjugés et nos passions ». La confrontation est  sans complaisance et le message est clair !  

Combattre nos passions et se connaître soi-même. Car oui, le miroir possède une fonction équivoque  et paradoxale, entre séduction et connaissance, entre illusion et révélation. Il est un médium  ambivalent pour de nombreux héros populaires : pour Alice de l’autre côté du miroir, pour Harry  Potter, pour Néo dans Matrix, pour la méchante reine de Blanche-Neige, et de façon indirecte pour  Dorian Grey. Il a aussi une fonction moralisatrice : il permet à celui qui est content de sa beauté à  veiller attentivement à ne pas gâter ses avantages corporels par de mauvaises mœurs et à celui qui a  été moins comblé par la nature à compenser sa laideur physique par la beauté de sa vertu. Le miroir  me fait aussi penser à ce dicton japonais qui dit, je cite : « Vous avez trois visages. Le premier visage,  vous le montrez au monde. Le deuxième visage, vous le montrez à vos amis proches et à votre famille.  Le troisième visage, vous ne le montrez jamais à personne : il est le reflet de ce qu’il y a le plus vrai en  vous. » Fin de citation.  

Car un miroir ne triche pas : que nous soyons beau ou laid, que nous soyons Narcisse ou Méduse face  au reflet de l’eau pour l’un ou face au bouclier de Persée pour l’autre, chacun de nous n’a pas d’autre  choix que d’affronter la vérité, d’affronter le tragique de sa condition et de faire son examen de  conscience. Pour nous francs-maçons, la scène du miroir est comme un seuil à partir duquel celui qui  vient tout juste de recevoir la lumière peut entamer son propre chemin initiatique ; elle possède ce  potentiel de transformation qui invite à nous placer sur le chemin de la sagesse sous le regard  distancié de… notre propre regard, pour peu que nous ayons les yeux et l’esprit vraiment ouverts. Le  miroir est, à ce moment précis, comme une fenêtre ouverte sur un autre monde, un monde d’esprit  et de raison, un monde de lumière et de révélation.  

Je vous avouerais que, toutes les fois que j’assiste à une initiation, la scène du miroir est pour moi LE  moment où l’émotion est à son comble et je ne peux m’empêcher de réprimer une larme. C’est en  écrivant cette planche que j’ai réalisé pourquoi : car c’est à ce moment précis que je reconnais le  néophyte comme mon frère ou ma sœur. Et c’est encore ce qui est arrivé vendredi dernier, lors de  l’initiation de notre nouveau frère Samuel. Oui, la scène du miroir marque le premier arrachement à  la vie profane et le véritable commencement de la vie maçonnique, qui désormais ne s’arrêtera plus.  

J’ai dit.

Être républicain

Vénérable Maître

Mes très chères sœurs, mes très chers frères en vos grades et qualités.

L’idée de mon intervention (symbolique) de ce soir m’est venue, de notre tradition d’exclamer « Vive la République » comme derniers mots de chacune de nos tenues ; du moins au Grand Orient.

Belle affirmation : Le Franc-maçon serait donc de fait un Républicain ?

Mais c’est quoi « Être républicain » ?

C’est connaitre et reconnaitre toute la valeur et la portée de l’article 2 de notre Constitution : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». 

Tout d’abord, rappelons-le : Être « républicain » n’a pas toujours voulu dire la même chose depuis la Première République née en 1792. 

Nous le savons.

Ne prenons qu’un exemple ou deux, historiquement si proches mais à la fois si lointain au regard de notre présent et des valeurs qui ont cours aujourd’hui : Vers 1900, un républicain était opposé au droit de vote des femmes.

Pourquoi ?

Parce que celles-ci, catholiques plus que les hommes, étaient censées être soumises d’avantage à l’Église,  fort peu républicaine. 

Cela fait sourire…

Pourtant, il fallut attendre 1944 et le gouvernement provisoire du général de Gaulle pour instaurer ce droit égalitaire. 

On pourrait aussi évoquer le patriotisme et même un certain nationalisme dans la conviction des républicains, aux yeux desquels la France, phare de l’humanité, avait pour mission d’éclairer le monde… 

Charmant concept ; mais qui pour partie explique notamment la justification de la colonisation par de bons républicains comme Jules Ferry, par exemple !

Et c’est la Première Guerre Mondiale qui ébranlera ces convictions, en faveur du pacifisme. 

La décolonisation, elle, attendra les années 1960.

Bref, nous le voyons le contenu du modèle républicain, a pu se modifier au cours de l’histoire de ces deux derniers siècles de sa courte vie !

Il demeure cependant, quelques invariants qui constituent un socle toujours d’actualité.

Le républicain prend donc très au sérieux tous les termes de l’article 2 de notre Constitution : 

Je le cite à nouveau, rien que pour le plaisir.

« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Une petite révision donc :

1. Indivisible, la France forme une nation dont chaque membre, individuel ou collectif, est subordonné à une communauté politique, à un vouloir-vivre-ensemble qui récuse les particularismes, les séparatismes, aussi bien que les individualismes et les corporatismes ignorant le bien commun et l’intérêt général. 

À cet égard, la politique linguistique des régimes républicains illustre ce principe d’indivisibilité, non sans dureté, comme on le voit dès la Révolution en lisant le Rapport de l’abbé Grégoire à la Convention : je le cite, « sur la nécessité d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ».

On ne parle pas du Franglais, ni du Globish. Dommage !

2. Laïque, la République s’est affirmée historiquement à l’encontre du pouvoir ancestral de l’Église catholique, en affirmant l’indépendance du pouvoir politique par rapport à tout pouvoir religieux. 

« Comment, s’exclamait Gambetta au moment où le régime républicain devait combattre le pouvoir clérical pour s’établir… comment (donc) pourrait-on établir la paix entre l’Église qui revendique la domination universelle et la démocratie qui veut affranchir les consciences, et émanciper l’homme ? » 

La laïcité, est née dans ces années de combat, 

et elle est la marque propre de la République française 

D’ailleurs, le mot de laïcité, n’existe guère dans les autres langues (seulement en turc depuis Atatürk et en espagnol du Mexique). 

Deux grandes décisions législatives ont établi la laïcité républicaine : -les lois scolaires des années 1880 qui ont retiré de l’école publique l’enseignement religieux 

-et la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 qui assure la liberté de conscience mais ne privilégie ni ne subventionne aucun culte. 

La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école s’inscrit dans la droite ligne de cette doctrine laïque qui affirme la liberté religieuse pourvu que sa manifestation, énonce l’article 10 des Droits de l’Homme et du Citoyen, « (que sa manifestation donc) ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». 

Les modalités de l’application du principe font débat aujourd’hui à propos de l’islam, mais le principe de laïcité est et reste intangible pour un républicain.

3. Démocratique, la République repose sur le suffrage universel (certes malmené), sur les libertés publiques et sur l’égalité entre tous les citoyens (certes, à nouveau,  très malmenées) , et tout cela quel que soit leur sexe, leur religion, leur profession. 

La conscience démocratique n’est pas innée. Pour les républicains, il appartient à l’école gratuite, obligatoire et laïque de la former : il n’y a pas de République sans éducation civique. 

La République démocratique est fondée sur des individus devenus des citoyens par la conscience acquise de « l’interdépendance humaine », selon la formule chère au philosophe républicain Charles Renouvier.

4. Sociale, enfin, la République s’assigne le devoir d’assurer l’éducation (l’école gratuite), la sécurité et la promotion des citoyens par des lois et des institutions qui ont été progressivement mises en place (impôt sur le revenu, durée légale du travail, Sécurité sociale, assurance chômage, aides sociales aux familles, RMI et RSA, etc.). 

Notons au passages que les doctrinaires de la République n’étaient pas, pour autant, socialistes au sens strict, car aux yeux des républicains : le collectivisme, synonyme de nivellement, ne pouvait être instauré que par la privation des libertés individuelles. Incompatible avec l’idée de république !

Ils sont cependant partisans de l’intervention de l’État en faveur de la justice sociale.

Cette modeste révision achevée, on ne pourrait pas conclure sans rappeler que : la République n’est pas seulement un type de régime politique ; elle a été une foi, une « mystique », écrivait même Charles Péguy ; Et elle s’apparente à une forme d’utopie : « l’idée de progrès » ; dont Condorcet, philosophe républicain, a été le prophète. 

Non seulement le progrès des sciences et des techniques,  celui des connaissances en tous ordres, mais aussi le progrès moral et politique. 

Puisant dans l’histoire des étapes du progrès humain,  en dépit de tous les obstacles qui s’y sont opposés,  de toutes les régressions qui ont eu lieu, Condorcet manifeste une foi inébranlable dans l’avenir. 

Le travail de la raison et son universalisation devaient aboutir, selon lui, à un bonheur collectif jusque-là inconnu.

Cette vision positive de l’avenir et du progrès a été profondément taillée en brèche par deux guerres mondiales,  les génocides, 

et les échecs répétés de l’ONU à maintenir la concorde entre les peuples. 

Néanmoins, avec force, nuances et réserves,  un républicain refuse le passéisme,  conteste l’illusion que « c’était mieux avant »,  et ne se résigne pas aux prédictions réactionnaires. 

Le républicain d’aujourd’hui, certes, balance entre l’optimisme tragique et le pessimisme actif. 

Il sait que l’Histoire n’aura pas de happy end, il ne se leurre plus sur la bonté naturelle des hommes ; mais il entend continuer d’œuvrer à l’amélioration de leur condition : contre l’esclavage,  contre la misère, 

contre l’assujettissement des femmes,  contre l’esprit de conquête et de domination, contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 

contre l’ignorance,  contre les bourrages de crâne qui enchaînent  et les obscurantismes qui asservissent. 

Quel programme !

Le Franc-Maçon est un Républicain.

Vive la République.

J’ai dit.

Planche Chapitre 2 : le mythe rosicrucien

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 2 : le mythe rosicrucien

Ce mythe que l’on pourrait aussi appeler hermétiste ou alchimiste existe bien mais même s’il n’a pas de fondement réel, il n’est pas sans signification.

Ce mythe est apparu en Allemagne à partir de 3 textes publiés au début du 17ème siècle (1614).

Dans ces textes il est affirmé l’existence à travers toute l’Europe d’une fraternité qui s’adressait à tous les hommes de science et à tous ceux qui appelaient de leurs vœux une nouvelle réforme.

Les écrits des frères dits de la Rose-Croix annonçaient que leur philosophie était le fondement et la substance de toutes les facultés, de toutes les sciences, de tous les arts. Évidemment, un dessin si élevé annonçait la venue d’un temps fondamentalement nouveau. Dans un autre texte vers 1619, était mis en scène une cité improbable où les chrétiens authentiques appliquaient les vrais principes de l’Évangile dans l’amour et la Concorde.

La première certitude que nous avons aujourd’hui c’est qu’il n’exista jamais de fraternité de la Rose-Croix. C’était avant tout une fiction littéraire écrite par un certain Johan Valentin Andreae, qui en avait fait une sorte de supercherie, une sorte de plaisanterie. Ce n’est qu’à la fin du 17e siècle que l’on découvrit, dans son autobiographie posthume, que l’auteur expliquait la supercherie qu’il avait mise en place. En fait l’auteur appartenait à un cercle de jeunes intellectuels de Tübingen qui se désolait de la déchirure de la réforme et des violences vécues alors par les peuples d’Europe au nom des lois évangéliques. Il prônait une ouverture du protestantisme qui lui aussi tendait à se refermer sur des positions figées et intolérantes. 

Et dans ces mêmes cercles estudiantins certains s’intéressaient au courant hermétiste qui connaissait alors un certain succès en Europe et qui souhaitait au sein de la réforme redonner des tendances mystiques que le Luthéranisme officiel avait combattu très durement.

Ce mouvement se développa donc surtout en Allemagne et eu une certaine influence en Grande-Bretagne. En revanche, la France fut peu touchée par ce mouvement en dehors de quelques remous soulevés par l’affaire dit des placards affichés dans Paris en juillet 1623 dans lequel on retrouve certains éléments de cette doctrine. On pense aujourd’hui qu’il s’agissait probablement d’un autre canular, dû cette fois-ci à des étudiants en médecine.

Cependant les idées propagées à cette époque sous la forme donc de thème Rosicrucien apparaissent dans certains livres. On ne peut manquer de voir dans l’œuvre du philosophe Francis Bacon, ‘’la nouvelle Atlantide’’, publiée en 1627, une utopie rosicrucienne typique. Puisque dans son livre il y est décrit un peuple ayant édifié une société inconnue du reste du monde, où les hommes vivent la pratique évangélique de l’amour fraternel.

Cette œuvre eut un retentissement important dans divers milieux intellectuels. En Angleterre il fut considéré à l’époque purement et simplement comme un manifeste rosicrucien. Évidemment, ce mouvement intellectuel n’épargna pas non plus la petite et lointaine Écosse. Dans la première moitié du 18e siècle, l’expression rose-croix avait donc fait son chemin et elle était devenue une appellation rigoureusement non protégée. Elle servait à désigner à peu près tout ce qui relevait de l’occulte, du mystérieux, depuis les superstitions populaires, en passant par la magie, les arts divinatoires et bien sûr l’alchimie. Les cercles rosicruciens proprement dits en fréquent compagnonnage avec la franc-maçonnerie, mais bien distincte d’elle, ce sont structurés en plusieurs temps au cours du 18ème siècle et on trouve vers 1757, l’existence de petits groupes organisés et entre 1777 et 1786, un ordre véritable va apparaître sous le nom d’ordre de la Rose-Croix d’or d’anciens systèmes. Les rituels nous sont en partie parvenus et ont été étudiés. Ils ont condensé tout ce qui a trait à l’hermétisme et à la kabbale en adoptant la révélation chrétienne comme fil conducteur. Cette société prospéra surtout en Allemagne et en Europe du Nord avec peut-être jusqu’à 1000 adeptes mais ne vécut pas au-delà de 1785.

Parmi ces rose-Croix d’or, on comptait d’assez nombreux francs-maçons aux appartenances multiples. Mais les rapports de la Rose-Croix avec la maçonnerie sont donc moins de l’ordre de la filiation ou de l’héritage que de celui de la construction d’un imaginaire. 

Pour être clair il n’est guère possible aujourd’hui de soutenir que la Rose-Croix a été à l’origine de la maçonnerie spéculative. Il apparaît néanmoins que certains milieux maçonniques reprirent parfois le thème de la Rose-Croix notamment par exemple on peut évoquer le grade de souverain Prince ou Chevalier de Rose-Croix qui pendant longtemps a été tenu pour le Nec-Plus-Ultra de la maçonnerie française.

En conclusion, il a pu apparaître que le message des frères de la Rose-Croix pouvait répondre à cette attente diffuse de l’esprit évangélique. Et que d’aucuns, un peu partout en Europe, se reconnurent dans cet appel. Et cela laisse place évidemment au mythe qui vit encore.

Le fil à plomb

« Toute conduite doit être conforme au fil à plomb. ». Cette courte citation date de plus de trois  millénaires. Elle a été écrite dans un recueil de maximes par Ptahhotep, vizir et philosophe égyptien,  qui a vécu autour de 2400 avant J.-C.  

Dans l’art des bâtisseurs, le fil à plomb sert à vérifier la verticalité d’une construction. Il se révèle être  l’instrument le plus simple du maçon : formé d’une masse suspendue à un fil, il pointe vers le bas et,  grâce à la loi de la gravité, il nous montre sans ambiguïté le centre de la Terre.  

Métaphoriquement, il nous invite à plonger au cœur de nous-mêmes, à faire notre introspection en  profondeur. Le fil à plomb est le prolongement direct de la formule VITRIOL « Visite l’intérieur de la  terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée », affichée dans le cabinet de réflexion. Le fil à plomb montre la voie qui mène à la conscience, à la compréhension, à la connaissance. Mais  attention : comme tout symbole, il ne fait que montrer la voie. Démocrite, considéré par certains  comme étant le père de la science moderne, écrivait : « En réalité, nous ne savons rien, car la vérité  est au fond du puits ». Par cette formule, il nous demande de cultiver notre sens critique car la ligne  verticale du fil à plomb, du zénith au nadir, du ciel jusqu’au fond du puits, symbolise certes la rigueur,  mais aussi le doute indispensable à tout franc-maçon qui entreprend de rechercher la vérité. La  vérité est-elle au fond du puits encore trouble ? Peut-être. Mais elle est plus certainement au fond  du maçon lui-même.  

Rechercher la vérité… Tiens tiens… Ça me dit quelque-chose.  

Alors poursuivons. Le fil à plomb possède un autre sens symbolique : par son indéfectible verticalité,  il ne dévie jamais ; il ne ment jamais car les lois de la physique sont têtues. Jamais le fil ne prendra un  autre chemin que celui du centre de la Terre. La direction qu’il montre nous invite  métaphoriquement à sonder la rectitude qui réside en nous, à interroger notre volonté, à cultiver  une forme de perfection. Elle nous pousse à réfléchir à une éthique exigeante, à rechercher une  élévation morale qui ne peut s’opérer que dans l’écoute, la solitude et le silence.  

Recherche de la vérité, étude de la morale… Ça y est ! Vous me voyez venir avec mes gros sabots…  

Et bien poussons le bouchon un peu plus loin en observant le symbole du 1er surveillant, celui qui est brodé sur le sautoir de notre cher F. Est-ce aussi un fil à plomb ? Presque ! Vu de loin, ça y  ressemble. Mais non, c’est un niveau, et plus précisément un niveau égyptien. C’est un assemblage  de segments en forme d’A majuscule, du sommet duquel est suspendu un fil à plomb. Si ce dernier  croise la barre du A en son centre, alors l’horizontalité de la construction est vérifiée. Conçu ainsi, le  niveau est une forme plus élaborée du fil à plomb. Il en est son prolongement logique tout comme le  grade de compagnon est le prolongement logique du grade d’apprenti. Mais le niveau est bien plus  que cela : il symbolise aussi l’égalité entre nous tous, l’égalité entre tous les frères et sœurs,  apprentis, compagnons ou maîtres de cette loge ; il symbolise la fraternité qui nous lie.  

Ainsi, à travers cette courte et modeste interprétation toute personnelle, les trois objectifs  fondamentaux de notre ordre s’avèrent symboliquement réunis dans cet outil simplissime, formé  uniquement d’une petite masse reliée à un fil. Car après la recherche de la vérité et l’étude de la  morale, la solidarité et la fraternité ne sont pas étrangères non plus à l’allégorie du fil à plomb. Cela en dit long sur les possibilités quasi-infinies de la signification des symboles qu’il me sera donné à explorer désormais au début de chaque tenue.  

Mais ne bavardons pas inutilement : le fil à plomb n’est pas le seul outil à contenir toute la  symbolique de la pensée et de l’action des maçons, qu’ils soient opératifs ou spéculatifs !  

Car sinon, je puis vous assurer que l’architecte de la tour de Pise aurait sérieusement revu son  projet !  

J’ai dit.

Planche Chapitre 1 : le mythe templier.

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 1 : le mythe templier.

Une certaine littérature friande de sensationnel et de révélation mystérieuse, nous a habitué à établir une relation étroite entre la franc-maçonnerie et l’ordre du temple. 

Celui-ci fut aboli en 1312 sous les coups conjugués du roi de France Philippe Lebel et du Pape Clément 5. L’idée que cet ordre aurait persisté secrètement en donnant naissance à la franc-maçonnerie semble s’être formé dans le premier tiers du 18ème siècle. Mais elle s’est constituée en 2 temps.

Dans un premier temps, il a été affirmé l’innocence de l’ordre martyr. C’est une opinion généralement propagée dès le milieu du 17e siècle. Elle est surtout transmise dans des ouvrages qui eurent un grand renom et qui décrivent les ordres de chevalerie dont beaucoup sont légendaires. Mais avec de nombreuses illustrations des costumes, des uniformes, des croix, des décorations, l’impact de cette littérature sur le public fut grand. On ne peut douter aujourd’hui qu’elle est fortement influencée et suscitée l’introduction du thème chevaleresque dans l’imaginaire maçonnique qui se structure à la même époque. Il y eut sans doute dès les années 1730, une chevalerie spéculative s’inspirant de l’idéal présumé. De l’ancienne chevalerie opérative il est du reste établi que le rituel, la vêture et les décors de certains grades maçonniques et chevaleresques, qui verront le jour dans les décennies suivantes, furent directement copiés sur les documents publiés dans ces ouvrages. En parallèle beaucoup eurent la conviction qu’un enseignement secret et ésotérique était dispensé aux Templiers. 

Lors de la condamnation du temple, ces biens furent pour l’essentiel dévolu à l’ordre hospitalier de Saint Jean. Et les Templiers eux-mêmes furent traités le plus souvent avec modération. Certains restèrent sur place dans l’ancienne commanderie nouvellement affectée à l’hôpital à l’endroit même où ils avaient vécu le plus clair de leur vie. Quant à ce prétendu secret des Templiers, l’origine des rumeurs est assez facile à trouver. On sait, en effet, que lors du procès des Templiers, on fit grand cas des pratiques impudiques et sacrilèges que les Templiers auraient imposé à ceux qui les liaient à l’ordre. Il est à peu près certain que ces usages furent assez souvent observés. Des Templiers eux-mêmes ont expliqué qu’il s’agissait de mise à l’épreuve délibérée de rites choquants destinés à évoquer dans la conscience du nouveau templier les rudes combats et les engagements extrêmes auxquels ils seraient confrontés dans leurs luttes sans merci contre les infidèles. Au reste il était fréquent que, devant le refus voire la réticence habituelle des novices, on se contenta d’un simulacre. À part un bizutage un peu rude, rien du moins qui atteste d’une supposée doctrine secrète du temple.

Une seconde étape a été franchie lorsque le thème de la chevalerie fit irruption dans la franc-maçonnerie. En effet, dès 1723, une mention furtive indique dans les constitutions publiées par James Anderson cette origine. Cette thèse, évidemment, est de toute façon hautement fantaisiste notamment quand le pasteur Anderson écrit que la plupart des grands hommes étaient maçons, ce qui, historiquement n’avait à l’époque, et même maintenant, proprement aucun sens. C’est en France vers le milieu de la décennie 1730 que les choses semblent se préciser. L’homme qui va le premier établir dans un texte promis à un grand destin, un lien entre la chevalerie et la franc-maçonnerie est André-Michel de Ramsay. Il fit à la fin de l’année 1736 un discours qui fut largement connu, diffusé, lu et relu. Au point qu’il fut un peu comme la déclaration de principe et le programme intellectuel d’une très grande partie de la maçonnerie française au 18e siècle.

Dans ce récit on en tire 3 enseignements. Le premier c’est que Ramsey récuse clairement toute origine ouvrière et corporative de la maçonnerie. En deuxième lieu, il renonce à toute mythologie biblique. Enfin il est dit très clairement que la franc-maçonnerie serait le résultat de l’union avec un ordre de chevalerie, en l’occurrence, celui de Saint-Jean-De-Jérusalem, c’est-à-dire des hospitaliers. La thèse qu’il propose s’impose immédiatement et formera dès cette époque précisément la trame, par exemple, du premier grade chevaleresque dans l’histoire maçonnique. Le thème de la chevalerie était dans l’air du temps avant que de pénétrer dans celui des loges. Ce n’est qu’une fois ce premier pas franchi, qu’une douzaine d’années après le discours de Ramsay qu’apparaît enfin le plus ancien rituel maçonnique faisant état d’une origine exclusivement templière de la franc-maçonnerie. C’est dans un rituel appelé le rituel de Quimper, découvert seulement en 1997 que nous est révélé par exemple le grade de chevalier élu. Dans ce rituel une instruction très détaillée révèle aux candidats trois secrets inédits. Le premier est que les chevaliers élus, donc les maçons, forment une élite descendant des Templiers. Le deuxième secret est que ces derniers ne faisaient que poursuivre une longue lignée d’initiés remontant notamment aux esséniens. Le troisième secret est que la jonction entre la maçonnerie et les Templiers s’était fait en Écosse. Ce tableau est saisissant. Car on voit que dès cette époque, tous les éléments de la légende templière de la maçonnerie sont posés. Les grades d’inspiration templière qui apparaîtront ensuite ne feront que broder sur ce thème, arranger les détails et liés l’ensemble.

Cette légende va avoir une fortune assez grande. Trois grandes familles vont dériver de ce modèle. La première est donc la stricte observance templière en Allemagne. La deuxième aboutit au chevalier kadoch qu’on retrouve au 30ème grade du rite écossais ancien et accepté. Et la troisième la néo-chevalerie, extraordinaire destin de l’ordre du néo temple de Fabré-Palaprat qui, sous le premier empire, connaîtra de beaux jours et organisera même de fastueuses réceptions à Paris.

En guise de conclusion : si l’ordre du temple, le vrai, fut de bout en bout, essentiellement français, cela n’est pas douteux. Ce n’est pourtant pas par son intermédiaire que la franc-maçonnerie est née, que ce soit en France, avec les corporations ou en Écosse. Mais il est vrai que l’essentiel en la matière n’est pas la vérité de l’histoire, mais la vérité d’un désir de rattachement à une origine mythique, à la fois prestigieuse et secrète.