Nouvelle histoire des Francs-maçons en France
Des origines à nos jours
Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018
Résumé
Chapitre 4 : la fondation de la première Grande Loge de Londres
C’est le jour de la Saint-Jean d’été de 1717 que naquit une certaine forme organisée de franc-maçonnerie. Ce jour-là, selon le pasteur Anderson, 4 loges se réunirent dans une taverne londonienne, l’oie et le grille pour former une Grande Loge. Cette réunion semble avoir été dictée par la difficulté qu’avaient ces loges à se maintenir en vie. Elles décidèrent donc tout simplement de se soutenir mutuellement. En effet, ces loges rassemblaient principalement des gens de condition modeste, des artisans et des petits commerçants. Et elles n’avaient évidemment aucun lien institutionnel, à la manière écossaise, avec le métier de maçon. Leur objet majeur, à l’instar des confréries qui existaient depuis des siècles d’abord autour d’un village, puis au sein des métiers étaient manifestement la bienfaisance et l’entraide.
Mais la fondation de 1717 pourrait n’être elle-même qu’une fable, l’ultime mythe fondateur des origines de la maçonnerie spéculative. Plusieurs éléments permettent en effet de remettre aujourd’hui en question cette légende dorée. Par exemple, ce n’est seulement que dans l’édition de 1738 qu’Anderson expose les minutes des assemblées supposées de la Grande Loge entre 1717 et 1723. Les livres des procès-verbaux de la Grande Loge de Londres et de Westminster ne commencent d’ailleurs qu’en novembre 1723. Avant rien, aucune indication mentionnant un second volume antérieur. De plus, il apparaît simplement qu’en 1716 la Taverne du Pommier, une des 4 loges créatrices de la Grande loge d’Angleterre en 1717 n’existait plus. Faut-il donc renier la fondation de 1717 ?
La réponse est en fait, évidemment plus compliquée qu’il n’y paraît. Il demeure néanmoins acquis que l’on devait compter des maçons et quelques loges à Londres avant 1717. Mais sans doute très peu et dans un état presque fragile. On ne peut rien dire de plus précis à ce sujet. Il est vrai que les maçons de cette époque ont réactivé, en la transformant de fond en comble, une société populaire, anciennement de métier, devenue avant tout une société d’entraide. Ils lui ont accordé des moyens financiers sans précédent grâce à l’arrivée providentielle ensuite de grands maîtres richissimes, tout en exigeant en contrepartie de ses membres qu’ils se conforment au nouvel ordre politique et cultivent la tolérance interreligieuse qui avait donné au pays la paix civile tant désirée.
La fiction de 1717 s’inscrit dans cette préoccupation. Elle ne relève pas d’une volonté cynique de tromper, mais d’un désir sincère d’assigner symboliquement à une fraternité désormais gouvernée par l’élite sociale, la source populaire et fraternelle. Un des grands maîtres, Desaguliers charge, le pasteur James Anderson, de rédiger de nouvelles constitutions à partir de celles des anciens devoirs. En 1723, l’ouvrage fut aussi officiellement terminé et offert au nouveau Grand maître. Les nouvelles constitutions avaient évidemment une fonction politique. Leur plan, exactement calqué sur celui des anciens devoirs, s’ouvraient par une longue histoire du métier compilée par Anderson. Ce message était clair. La Grande Loge se situait dans le droit fil des récits qu’on lisait déjà aux jeunes apprentis des chantiers 3 siècles plus tôt. À partir de ce moment-là, dans ce climat bien particulier, la Grande Loge, clairement dominée par l’élite hanovrienne les vainqueurs de la glorieuse révolution de 1688), apparaît comme un des lieux où pouvaient à la fois s’accomplir la réconciliation des élites et du peuple, notamment par les bienfaisances actives. Et s’affirmait la volonté commune de donner à l’Angleterre une paix civile et durable après un 17ème siècle ensanglanté par les guerres civiles et autres troubles.
Quoi qu’on puisse en penser, la maçonnerie moderne naît alors que s’établit, dans une grande monarchie européenne, un pouvoir parlementaire fondé sur le libéralisme politique et la tolérance. Sur le plan religieux, l’appartenance à une communauté ecclésiale faisait partie intégrante de l’identité sociale. Ne nous y trompons pas, dans l’Angleterre du 18e siècle, cela veut simplement dire liberté de choisir sa religion car il allait de soi que chaque homme en avait une. Et sur le plan intellectuel, et c’est sans doute le trait le plus frappant à l’origine et cependant le plus souvent méconnu, entre 1720 et 1750, la Grande Loge d’Angleterre de Londres a compté dans ses rangs l’élite des milieux scientifiques anglais et un nombre impressionnant de membres de la société royale de Londres.
Entre 1725 et 1730, plus de 80 maçons anglais appartiennent à cette élite sur à peu près 250 personnes à l’époque. La proportion est évidemment considérable. C’est dans ce climat politique et intellectuel qu’apparaîtront les futurs pionniers de la maçonnerie en France. Il est certain qu’ils en porteront la mémoire collective, l’état d’esprit et aussi les ambiguïtés. S’ils prirent pied sur le continent, ce ne fut pas du reste pour y propager la maçonnerie. Mais parce que leur engagement politique et religieux les avait contraints. Les premiers francs-maçons en France, nous le verrons la prochaine fois, furent des fugitifs et des exilés.