Nouvelle histoire des Francs-maçons en France
Des origines à nos jours
Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018
Résumé
Chapitre 7 : la France, fille aînée de la maçonnerie
En 1743, le Comte de Clermont, Prince de sang, fut élu grand maître. Ce qui est important, c’est que la franc-maçonnerie, institution d’origine protestante, née dans un pays de monarchies parlementaires, a réussi à s’adapter à la France catholique et absolutiste en plaçant à sa tête un abbé mondain et aristocrate de haut rang, mais cependant débonnaire et libéral.
Dans une France d’ancien régime la franc-maçonnerie, à l’image du pays, offrit pendant plus d’une trentaine d’années un visage morcelé, dispersé et souvent contradictoire. Elle exprimait surtout une grande réticence à l’égard de tout pouvoir central, notamment parisien, et où la notion même d’obédience au sens moderne du mot n’avait guère de sens ni de réalité
En 1744 et en 1745, ce sont souvent des rapports de police qui permirent de comprendre en quoi étaient faites les tenues et les loges, car ils fournissaient une sorte de saisissant reportage sur le décor et l’ambiance des loges. Il est probable que les autorités aient fini par se convaincre que si les francs-maçons ne faisaient pas de scandale et ne se montraient pas trop, rien de bien considérable ne pourrait leur être reproché.
Cependant, c’est bien à cette époque, c’est-à-dire dans le courant des années 1740, que des pamphlets anti-maçonniques, de nature essentiellement anti-religieuse, ont été publiés. Le serment impénétrable des francs-maçons était une offense au droit du confesseur de tout connaître des turpitudes de ses fidèles. La dénonciation du dangereux mélange des confessions est aussi un fait majeur. Il suffira d’y ajouter le soupçon de complot contre les pouvoirs civils et légitimes, qui naîtra surtout dans la littérature post-révolutionnaire, pour que soit complété l’arsenal antimaçonnique qui servira en France et dans quelques autres pays de tradition catholique jusqu’au cours du 20ème siècle.
Alors que la police et les différents pamphlets divulguaient tous les mystères prétendus des francs-maçons pour les faire sombrer dans le ridicule, c’est tout le contraire qui s’est passé. Entre 1744 et 1747, de nombreuses divulgations majeures, imprimées et rééditées à diverses reprises pour certaines d’entre elles, firent leur apparition. Ces textes eurent un double effet. Ces divulgations servirent d’aide-mémoire aux francs-maçons. Et par un effet de retour, elles contribuèrent à stabiliser les usages maçonniques, quelle qu’ait pu être à l’origine leur exactitude et leur véracité.
Les premiers francs-maçons ont dû faire preuve de résistance et d’énergie pour s’opposer aux opérations de police et aux foudres de l’Église, mais c’est bien cette culture maçonnique dans cette France du début du règne de Louis XV qui parvenait à un tournant de son histoire politique et morale, qui a sans doute répondu à un puissant besoin de différentes classes de la société. Ce puissant besoin se matérialisait dans l’ordre de la pensée comme dans celui de la simple sociabilité renouvelée et enrichie par les cérémonies d’éloges et plus encore par la convivialité des banquets maçonniques.
Le banquet maçonnique, à l’instar de la loge dont il procède et qui le justifie, fut sans doute l’un des premiers lieux dans la France de l’ancien régime où une sociabilité vraiment nouvelle put s’établir entre des hommes appartenant à tous les ordres de la société, sinon à toutes les couches socio-économiques
Le développement des loges s’est appuyé aussi, et dans une large mesure, sur les loges régimentaires qui ont permis la création rapide de nombreuses autres loges sur l’ensemble du territoire. Il apparaît que la première motivation des militaires francs-maçons fut probablement l’ennui. Se déplaçant de ville en ville, celles-ci ont essaimé de nouvelles loges, et en quittant leurs garnisons les maçons non militaires continuèrent l’œuvre maçonnique. À la veille de la révolution, le Grand Orient de France comptait environ 690 loges, dont près de 70 au sein des régiments.
C’est aussi à cette période qu’apparaissent ce qu’on appellera plus tard les hauts grades, qui prirent la qualification de grade écossais, particulièrement en France.
En 1760, on assiste à une véritable sécession d’une bonne partie des maîtres de loges parisiennes avec la création d’une grande loge autonome. La querelle portait finalement sur une lutte de pouvoir.
Pendant deux ans, deux grandes loges vont vivre côte à côte. Pendant cette période de deux ans, environ 85 nouvelles loges verront le jour, mais surtout plus d’une trentaine naîtront de leur propre chef sans se rallier à l’une ou l’autre des grandes loges parisiennes. En 1762 les tractations entre les deux grandes loges allèrent bon train. Une fois cette harmonie, entre guillemets, théoriquement retrouvée, au moins en façade, furent adoptés en avril 1763 les statuts et règlements de la Grande Loge de France et de toutes les loges particulières répandues dans le royaume
La Grande Loge réunifiée poursuivit ses travaux sans encombre jusqu’en 1765. C’est au cours de cette période, probablement, qu’un premier rituel fut imprimé, appelé le Corps complet de la maçonnerie, adopté par la Grande Loge de France.
Enfin terminons par les loges d’adoption. En effet. La franc-maçonnerie a toujours été avant tout une affaire d’hommes, comme il est rappelé dans les constitutions de 1723.
La franc-maçonnerie française trouva finalement une parade par la création de la maçonnerie d’adoption ou maçonnerie des dames. Elle était distincte de la maçonnerie masculine par ses rituels, ses emblèmes et ses décors mais était fondée sur les mêmes principes.