Planche 5 minutes de symbolisme « Notre Dame de Paris »

Dans la planche qui suit, voyez là la simple expression d’un enthousiasme personnel, une invitation à vivre, à notre mesure, une expérience similaire à celle qu’ont vécue tous ceux qui ont reconstruit Notre-Dame.
La cathédrale Notre-Dame a rouvert ses portes le 7 décembre dernier. Les maîtres d’œuvre, les compagnons du devoir et les apprentis qui ont œuvré pendant 5 ans à ce chantier sont des constructeurs. Ces architectes, ces tailleurs de pierre, ces charpentiers, ces archéologues, ces échafaudeurs, ces grutiers, ces cordistes, ces spécialistes du plomb, du vitrail ou du pavement ou ces restaurateurs de peinture, sont des constructeurs. Tous sont animés par une recherche du vrai, une quête du beau ; tous approfondissent et transmettent leur savoir-faire ; tous cultivent des hautes valeurs morales et humanistes ancestrales.
Alors à votre avis, de quels constructeurs voudrais-je vous parler ce midi ?
Les Constructeurs de Notre-Dame comme les Constructeurs réunis ici sont entrés dans le chantier tête baissée, pour se retrouver dans un tourbillon émotionnel géant. Les uns comme les autres ont sur leurs épaules une responsabilité énorme : celle de donner à l’édifice une cohérence totale. Leur engagement est au service d’une œuvre qui est plus grande qu’eux, une œuvre qui dépasse les individualités. L’intérêt de l’édifice prime sur les volontés personnelles.
Pour réussir, ils ont dû montrer de nombreuses qualités morales, j’en citerais trois.
En premier lieu, faire preuve de courage. Les Constructeurs de Notre-Dame ont dû en effet progresser sur des échafaudages gigantesques pour réaliser une tâche parfois difficile, au vent et à la pluie. Les Constructeurs de cette loge doivent progresser par leur travail, encore et encore, dans leur connaissance et leur réflexion. Parce que le jour de notre initiation, nous avons tous fait le serment suivant : « Je promets de travailler avec zèle, constance et régularité à l’œuvre de la Franc- Maçonnerie ». Et parce que nous le savons bien : « De longs et pénibles efforts seront encore nécessaires avant que notre tâche soit achevée. L’heure du repos n’est donc pas arrivée. » Ainsi, dans l’un comme l’autre chantier, le défaitisme ou la résignation n’ont pas cours.
La seconde qualité réside en la confiance réciproque. Cela signifie que chaque Constructeur doit se sentir responsable de l’œuvre, comme responsable de ses frères et sœurs et comme responsable de lui-même. La confiance suppose aussi qu’il n’y a pas de place pour la petite phrase, pour le mot gratuit, pour la mauvaise foi. Il n’y a pas de place pour la remarque déplacée, pour la moquerie ou pour l’ironie qui blesse. Ce serait autant d’occasions de grignoter les liens de confiance qui nous unissent. Au lieu de cela, imposons-nous la franchise et la spontanéité bienveillante. La scène du parjure nous le rappelle à chaque initiation : « Cette pâle clarté, les épées que vous voyez pointées sur cet homme, sont des symboles. Ils vous annoncent que vous ne devez en aucun cas trahir votre serment, car vous pourriez mettre en péril les personnes qui vous ont fait confiance. »
Enfin, en troisième lieu, l’exigence. L’exigence d’un travail de qualité, où chaque détail a son importance. Je cite l’architecte en chef qui a supervisé la reconstruction de la cathédrale : « dans le chantier de Notre-Dame, il y a en réalité 1000 chantiers et sur chacun de ces chantiers, 1000 détails à vérifier. » N’en est-il pas de même pour notre loge ? De telles aventures sont des aventures humaines qui fatalement produisent des heureux et des mécontents car l’exigence est, à tort, parfois prise pour de l’intransigeance. Si nous avons envie que notre œuvre soit la plus grande et la plus belle, si nous voulons éprouver la satisfaction du travail bien fait, alors nous n’avons pas le choix : nous devons abandonner notre fierté sur les parvis – est-ce cela laisser ses métaux ? – pour rechercher la rigueur et une forme d’idéal. On se le dit d’ailleurs souvent à la sortie : « ce soir, c’était une belle tenue ! ». Cela veut dire que le chantier a « élevé nos esprits vers l’idéal de notre Ordre » (comme le demande le V :. M :. lors de la chaîne d’union), et que nous avons connu l’égrégore, tout comme les constructeurs de cathédrale, par leur formidable élan et leur enthousiasme, ont sans cesse cherché la hauteur et l’équilibre de l’édifice.

Le coq fut le dernier élément à être posé au sommet de la flèche de Notre-Dame, tout en haut, au-dessus de la croix. Je ferai peut-être un jour des 5’ minutes sur le coq car c’est un animal avec une charge symbolique puissante. Mais aujourd’hui, je me contenterais de le relier à la vigilance et à la persévérance, qui sont toutes deux présentes et associées dans le cabinet de réflexion. Le coq vigilant est un symbole de l’éveil au matin et le coq persévérant rythme les moments de la journée, celle du travail sur le chantier. La vigilance est une qualité qui nous invite à rester éveillé et curieux, qui nous invite à la sagesse et qui maintient la flamme du désir initiatique. La persévérance évoque la fidélité et l’effort dans la durée ; elle combat l’impatience, mais aussi l’accoutumance ou le découragement.
Pourquoi nos frères et nos sœurs nous reconnaissent-ils comme francs-maçons ? Parce qu’à l’instar des constructeurs de Notre-Dame, les Constructeurs réunis ici sont tenus de se dépasser, d’aller au- delà de leur propre satisfaction, et de développer des qualités de courage, de confiance et d’exigence, des qualités de vigilance et de persévérance, au service d’un édifice plus grand que nous, un édifice qui nous porte, au service d’une formidable aventure humaine qui ne s’arrête jamais.
J’ai dit.

Planche « 12 lacs d’amours », portez nous…

« Ô temps ! suspends ton vol, et vous, heures propices !  

Suspendez votre cours :  

Laissez-nous savourer les rapides délices  

Des plus beaux de nos jours ! »  

Par cette célèbre strophe du poème « Le Lac » d’Alphonse de Lamartine écrit en 1820,  je voudrais démarrer ma planche pour traduire ma quête impossible d’une suspension du temps dans de tels moments comme celui que je vis à l’instant devant vous tous. 

Mon père me la récitait d’ailleurs, je pense à lui.  

….  

Après cette évocation profane qui touche l’intime, je vais tout d’abord me concentrer sur la symbolique  des « 12 lacs d’amours » en franc-maçonnerie, concept qui évoque l’aspiration à une purification de l’âme, la connaissance intérieure et la fraternité. 

Je le développerai ensuite comme reflet de ma quête spirituelle liée à la franc-maçonnerie pas très  éloignée vous le verrez de ma montagne savoyarde d’origine qui n’est jamais bien loin ! 

Et enfin je terminerai par une confidence…  

….  

Les philosophes, en particulier dans la pensée platonicienne et dans la philosophie romantique, voient  dans les lacs un espace de réflexion où le miroir de l’eau incarne l’accès aux vérités supérieures.  En effet, comme le disait Platon, la contemplation est un moyen d’atteindre l’intelligible, au-delà du monde  sensible. 

Cette métaphore est reprise dans la franc-maçonnerie, où le lac symbolise le cheminement spirituel, la  purification et l’accès à la connaissance cachée. 

Dans la symbolique maçonnique, le concept des « 12 lacs d’amour » représente les étapes de la  recherche spirituelle et de l’amour universel, où chaque lac incarne un aspect de l’amour purifié et  transcendant.  

Cette vision poétique et mystique des lacs d’amour invite à voir chaque lac comme une étape vers l’union  avec le divin.  

Ces 12 lacs pourraient symboliser les 12 étapes de la quête intérieure, chacune révélant un aspect  différent de l’âme, jusqu’à atteindre l’amour parfait et la connaissance ultime. 

Les 12 lacs d’amour se rapprochent de l’idée de purification et de connaissance intérieure, éléments  centraux de la franc-maçonnerie. Chaque lac peut être vu comme un miroir symbolique permettant aux  maçons de réfléchir sur leur progression spirituelle. Ce cheminement passe par l’amour de soi, de l’autre,  et de l’univers tout entier. 

La symbolique des lacs d’amour renvoie à la tradition initiatique, où l’individu, en quête de la lumière, doit  traverser différentes étapes de purification et de prise de conscience pour accéder à la sagesse. Ce  parcours initiatique, représenté par les 12 lacs, vise à faire grandir en chaque initié l’amour universel,  ultime stade de l’évolution spirituelle dans la franc-maçonnerie. 

Ce sont enfin des ornements symboliques héraldiques constitués de nœuds formant des boucles entrelacées, souvent disposés en chaîne ou en frise. Ils apparaissent sur le tapis de la loge, ou dans les  décorations symboliques du temple et se terminent par une houppe dentelée.

Ces nœuds constituent une protection des travaux des maçons vis-à-vis de l’extérieur du temple. En résumé, en Franc Maçonnerie, la symbolique de ces 12 lacs d’amour couvre successivement :  

• L’union et la fraternité entre les frères et sœurs maçons.  

Les nœuds entrelacés représentent la solidité des liens d’amitié et de fraternité qui unissent les  membres de la loge.  

Chaque maçon est lié à l’autre de manière indissociable, formant une chaîne d’union spirituelle et  universelle, lorsque les membres de la loge se tiennent par la main, formant un cercle symbolique. 

• L’éternité et l’infini en évoquant un mouvement sans fin (proche du symbole de l’infini en  mathématique). 

Cela rappelle que les idéaux maçonniques, tels que la recherche de la vérité, l’amour et la  fraternité, sont intemporels. 

• La solidarité et la protection puisqu’un nœud bien fait ne se défait pas facilement, tout comme la  solidarité maçonnique : les frères et sœurs se soutiennent mutuellement dans toutes les  épreuves. 

Je dirais même qu’en regardant la corde de près dans le nœud, nous voyons qu’elle revient vers  nous et repart vers l’autre comme si elle nous amenait à notre introspection infinie je l’ai déjà  indiqué. 

• L’amour spirituel avec une dimension affective et spirituelle. L’amour fraternel est une valeur  fondamentale en franc-maçonnerie. Ces nœuds figurent alors un amour pur, désintéressé et  universel. 

• Une référence initiatique. L’initié, en s’engageant sur ce chemin, tisse des liens avec les autres et  avec l’univers symbolique maçonnique. 

Inséparable des lacs, le chiffre 12 peut être vu, entre autres, comme en référence aux 12 nœuds de la  corde du maçon.  

Cette corde lui permet de réaliser facilement son ouvrage, en mettant successivement, bout à bout, des  alignements de 3, 4, puis enfin 5 nœuds afin de tracer un angle droit parfait.  

… 

Mais permettez-moi, pour cette planche, de ne pas me priver d’un retour vers mes montagnes de Savoie,  comme je le fais régulièrement avec celle que j’aime  

Ces montagnes me manquent déjà après ces quelques mots ! 

Je l’avais d’ailleurs indiqué lors de mon initiation, citant mes dernières lectures d’alors, « Psychisme  ascensionnel » d’Etienne KLEIN, à moins que ce ne soit « Blanc » de Sylvain TESSON. 

J’ai eu la chance de pratiquer intensément l’alpinisme, en développant ma technique pour gravir jusqu’à 7  sommets à plus de 4000m dans les Alpes. 

Dans les premières initiations, le guide vous apprend les techniques de base.  

Votre première initiation concerne la manipulation des cordes d’escalade, pas de vulgaires « lacets »  (autre origine des lacs), mais une corde de survie !  

Il s’agit alors d’apprendre les nœuds.  

Le « nœud de huit » est le premier nœud appris par tout alpiniste débutant !  

Ce nœud de huit est en effet la clé de survie de tout alpinisme. Ce nœud permet de se relier en  « cordée » d’alpiniste, et permet de palier à toute casse d’équipement d’ascension.

Encordés ainsi, vous apprenez très vite à évoluer sur glacier puis lors d’ascensions.  La survie de l’autre est liée (tiens tiens…) à la qualité de nœud lorsque l’un chute dans une crevasse et  que l’autre doit contenir cette chute en partant de l’autre côté.  

Ce n’est pas intuitif, je vous l’accorde

Des exercices sont réalisés, par exemple sur la mer de glace, pour que cela devienne un réflexe d’entraide  et de survie au final. 

D’ailleurs, s’approprier, comme je l’entends dans la cité, l’expression « 1er de cordée », n’a pas de sens  sans rappeler le contexte alpin.  

En effet, et vous l’avez compris maintenant, le 1er a besoin du 2nd et ainsi de suite.  Ceci dans des situations d’urgence que le 1er aurait tort d’oublier…  

Pour clore ce chapitre alpin, je souhaiterais indiquer que ce fameux « Nœud de huit » est parfois  appelé « nœuds en lacs », « lacs d’amour » en héraldique, ou …… « Nœud de Savoie ». …. 

…. 

La liaison est toute faite ! 

…. 

Pour finir, vous l’avez compris,  

Dans le monde profane, le « lac » est la rencontre entre l’âme humaine et l’infini, un lieu de quête  poétique, philosophique et spirituelle où se rejoignent le visible et l’invisible. 

Ce mot provient du latin « lacus », « réservoir, bassin ».  

Il peut donc être le réceptacle de toutes les imaginations humaines, 

Lamartine, avec son poème, l’illustre parfaitement au Bourget en SAVOIE, beau département s’il en est ,  avec le passage du temps et le souvenir des amours perdues, ici la mort de Julie CHARLES, son amour,  décédée peu après leur rencontre en ce lieu. 

Mais cette définition, miroir de l’âme et lieu d’amour … a failli me perdre lors de cette rédaction.  

Bien que simples homonymes et d’étymologie différente, ces 2 mots “lac” m’inspirent  tout autant dans ma démarche maçonnique. 

Heureusement, la Franc-maçonnerie peut servir de salut en m’offrant un chemin de purification et  d’initiation tout le long des « 12 lacs d’amour », qui illustrent la progression spirituelle vers l’amour  universel et la sagesse.  

En résumé, les lacs d’amour incarnent les idéaux maçonniques d’unité, de fraternité et d’amour universel,  tout en évoquant un lien indestructible et intemporel entre les maçons et leurs valeurs communes pour  l’œuvre qui les unit. 

En toute confidence, je vais vous avouer une chose…  

Il m’arrive lors de tenues de m’égarer en pensées en observant les lacs du temple depuis ma place  d’apprenti et de m’y perdre quelques instants. 

J’y vois d’abords mes lacs de Savoie et d’ailleurs, qui m’ont vu grandir, j’en ai au moins 12 en tête ! 

Je les imagine ensuite m’accompagner dans mon parcours maçonnique.  

Ces 12 lacs d’amours m’ont vu naître et me verrons grandir en FM pour progresser de lac en lac comme  je l’ai fait toute ma vie en randonnant pour découvrir, rencontrer et me découvrir. 

Je ressens alors un sentiment d’apaisement en écoutant les planches ou les échanges de la Loge. … 

« O temps suspends ton vol » !… 

Je me suis senti tout petit en rédigeant cette planche, émergeant des profondeurs de mon lac profane  pour, je l’espère, cheminer le long de l’éternité maçonnique.

J’ai dit.  

Chapitre 4 : la fondation de la première Grande Loge de Londres

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 4 : la fondation de la première Grande Loge de Londres

C’est le jour de la Saint-Jean d’été de 1717 que naquit une certaine forme organisée de franc-maçonnerie. Ce jour-là, selon le pasteur Anderson, 4 loges se réunirent dans une taverne londonienne, l’oie et le grille pour former une Grande Loge. Cette réunion semble avoir été dictée par la difficulté qu’avaient ces loges à se maintenir en vie. Elles décidèrent donc tout simplement de se soutenir mutuellement. En effet, ces loges rassemblaient principalement des gens de condition modeste, des artisans et des petits commerçants. Et elles n’avaient évidemment aucun lien institutionnel, à la manière écossaise, avec le métier de maçon. Leur objet majeur, à l’instar des confréries qui existaient depuis des siècles d’abord autour d’un village, puis au sein des métiers étaient manifestement la bienfaisance et l’entraide. 

Mais la fondation de 1717 pourrait n’être elle-même qu’une fable, l’ultime mythe fondateur des origines de la maçonnerie spéculative. Plusieurs éléments permettent en effet de remettre aujourd’hui en question cette légende dorée. Par exemple, ce n’est seulement que dans l’édition de 1738 qu’Anderson expose les minutes des assemblées supposées de la Grande Loge entre 1717 et 1723. Les livres des procès-verbaux de la Grande Loge de Londres et de Westminster ne commencent d’ailleurs qu’en novembre 1723. Avant rien, aucune indication mentionnant un second volume antérieur. De plus, il apparaît simplement qu’en 1716 la Taverne du Pommier, une des 4 loges créatrices de la Grande loge d’Angleterre en 1717 n’existait plus. Faut-il donc renier la fondation de 1717 ? 

La réponse est en fait, évidemment plus compliquée qu’il n’y paraît. Il demeure néanmoins acquis que l’on devait compter des maçons et quelques loges à Londres avant 1717. Mais sans doute très peu et dans un état presque fragile. On ne peut rien dire de plus précis à ce sujet. Il est vrai que les maçons de cette époque ont réactivé, en la transformant de fond en comble, une société populaire, anciennement de métier, devenue avant tout une société d’entraide. Ils lui ont accordé des moyens financiers sans précédent grâce à l’arrivée providentielle ensuite de grands maîtres richissimes, tout en exigeant en contrepartie de ses membres qu’ils se conforment au nouvel ordre politique et cultivent la tolérance interreligieuse qui avait donné au pays la paix civile tant désirée. 

La fiction de 1717 s’inscrit dans cette préoccupation. Elle ne relève pas d’une volonté cynique de tromper, mais d’un désir sincère d’assigner symboliquement à une fraternité désormais gouvernée par l’élite sociale, la source populaire et fraternelle. Un des grands maîtres, Desaguliers charge, le pasteur James Anderson, de rédiger de nouvelles constitutions à partir de celles des anciens devoirs. En 1723, l’ouvrage fut aussi officiellement terminé et offert au nouveau Grand maître. Les nouvelles constitutions avaient évidemment une fonction politique. Leur plan, exactement calqué sur celui des anciens devoirs, s’ouvraient par une longue histoire du métier compilée par Anderson. Ce message était clair. La Grande Loge se situait dans le droit fil des récits qu’on lisait déjà aux jeunes apprentis des chantiers 3 siècles plus tôt. À partir de ce moment-là, dans ce climat bien particulier, la Grande Loge, clairement dominée par l’élite hanovrienne les vainqueurs de la glorieuse révolution de 1688), apparaît comme un des lieux où pouvaient à la fois s’accomplir la réconciliation des élites et du peuple, notamment par les bienfaisances actives. Et s’affirmait la volonté commune de donner à l’Angleterre une paix civile et durable après un 17ème siècle ensanglanté par les guerres civiles et autres troubles.

Quoi qu’on puisse en penser, la maçonnerie moderne naît alors que s’établit, dans une grande monarchie européenne, un pouvoir parlementaire fondé sur le libéralisme politique et la tolérance. Sur le plan religieux, l’appartenance à une communauté ecclésiale faisait partie intégrante de l’identité sociale. Ne nous y trompons pas, dans l’Angleterre du 18e siècle, cela veut simplement dire liberté de choisir sa religion car il allait de soi que chaque homme en avait une. Et sur le plan intellectuel, et c’est sans doute le trait le plus frappant à l’origine et cependant le plus souvent méconnu, entre 1720 et 1750, la Grande Loge d’Angleterre de Londres a compté dans ses rangs l’élite des milieux scientifiques anglais et un nombre impressionnant de membres de la société royale de Londres.

Entre 1725 et 1730, plus de 80 maçons anglais appartiennent à cette élite sur à peu près 250 personnes à l’époque. La proportion est évidemment considérable. C’est dans ce climat politique et intellectuel qu’apparaîtront les futurs pionniers de la maçonnerie en France. Il est certain qu’ils en porteront la mémoire collective, l’état d’esprit et aussi les ambiguïtés. S’ils prirent pied sur le continent, ce ne fut pas du reste pour y propager la maçonnerie. Mais parce que leur engagement politique et religieux les avait contraints. Les premiers francs-maçons en France, nous le verrons la prochaine fois, furent des fugitifs et des exilés.

Le miroir

V :. M :. et vous tous mes frères et sœurs en vos grades et qualité, cette planche s’intitule « Le  miroir » et est librement inspirée des échanges que nous avons eus lors du dernier chantier  d’apprentis en chambre du Symbole.  

Nous le savons tous, un miroir est avant tout une plaque de métal poli, comme tous ces exemplaires  que l’on peut voir au département des antiquités de nombreux musées, plaque qui fut associée plus  tard à une feuille de verre, permettant de la protéger et d’améliorer son efficacité réfléchissante.  

Je pourrais d’abord vous dire que, depuis les travaux de René Descartes, le miroir est étroitement lié aux lois optiques qui décrivent le comportement de la lumière et à l’idée d’énergie. De forme  concave, le miroir est en effet présent dans de nombreux systèmes optiques convergents comme les  télescopes ou les fours solaires, afin de concentrer la lumière en un point. Et de forme convexe, il  devient « miroir de sorcière » et permet au contraire de diffuser largement les rayons lumineux.  

Le miroir a longtemps été perçu comme un objet mystérieux, un objet qui a alimenté les légendes et  les croyances populaires. Je pourrais donc vous dire ensuite qu’il est considéré comme un outil  puissant qui possède de nombreuses propriétés, parfois bien réelles mais plus souvent symboliques,  et qui toujours se traduisent par des usages surprenants. Ainsi dans l’art chinois du Feng-Shui, les  règles rituelles associées au miroir sont singulières : il ne faut par exemple jamais placer de miroir à  l’entrée de la maison, ni dans la chambre. Dans d’autres traditions, comme dans le judaïsme, on  couvre les miroirs de la maison après un décès afin de respecter l’intimité du défunt mais aussi celle des proches. Depuis toujours, le miroir a fasciné les hommes et sa symbolique qui lui est propre a été une source de questionnement et un outil d’introspection.  

J’aurais pu vous dire tout cela. Mais ce soir, c’est sur un autre chemin que j’aimerais vous entraîner.  Reprenons du début et laissez-moi vous guider. La scène se situe en Grèce, au IVe siècle avant J.-C. Le  pèlerin avait voyagé pendant plusieurs jours. A dos de mulet, il avait emprunté des sentiers de  chèvre, bordés de cyprès et d’oliviers. Il avait bravé tantôt les lignes de crête, tantôt le bord du ravin  qui sépare le massif du Parnasse de celui de l’Hélicon. Soudain, le chemin fait un coude vers la  gauche et le pèlerin discerne l’ouverture du défilé naturel qui mène à la ville de Delphes. Très vite, il  aperçoit l’entrée du sanctuaire et il ressent déjà le frisson inséparable de la quête – quasi initiatique –  qu’il va entreprendre et qui va le mener jusqu’à la prophétie. Sur le chemin en lacet qui monte  jusqu’au temple, il est émerveillé par toute l’harmonie et la beauté des édifices qu’il dépasse. A  l’entrée du temple, il découvre, gravés sur le fronton, sur les colonnes et sur les parois du pronaos de  mystérieux symboles et surtout un grand nombre d’aphorismes, sur lesquels il va devoir s’interroger.  Parmi eux, il va peut-être s’attarder sur celui-ci : « réfléchi à ce que tu as appris », ou encore celui-là :  « souviens-toi que tout est périssable ». Mais à coup sûr, il ne manquera pas la fameuse maxime  delphique « connais-toi toi-même ». Après avoir offert un sacrifice à Apollon, le visiteur posait sa  question à la Pythie qui rendait l’oracle du dieu et lui apportait une réponse bien souvent sujette à  interprétation.  

« Connais-toi toi-même ». Cet aphorisme a connu une grande postérité par l’utilisation qui en est  faite par Socrate, mais aussi par de nombreux penseurs avant et après lui. Un contresens serait de  penser qu’il nous invite à une introspection psychologique dans le cadre d’un développement  personnel. Non, il ne s’agit pas de cela. Il nous invite plutôt à nous questionner radicalement, à  interroger nos ressorts les plus profonds, à nous rendre juge de chacune de nos pensées voire de nos  contradictions. Il nous pousse à la lucidité, la lucidité de savoir que notre propre entendement  contient des faiblesses, la lucidité de savoir que notre discernement peut être entravé par nos 

émotions, et que nos connaissances sont limitées. Il nous invite par conséquent à penser qu’aucune  certitude n’est inébranlable et qu’il n’y a aucune vérité définitive.  

Tout comme le pèlerin de Delphes, le rituel initiatique invite le récipiendaire à faire face à lui-même à  plusieurs reprises – au moins deux – lors de la cérémonie : au tout début, lorsqu’il écrit son testament  philosophique dans la solitude, dans le silence et la pénombre du cabinet de réflexion, cerné de  phrases mystérieuses qui sont autant de mises en garde. A ce moment de l’initiation, on demande à  celui qui est encore profane de s’interroger sur ses valeurs les plus profondes, celles auxquelles il  croit aujourd’hui, celles auxquelles il milite même peut-être et celles qu’il voudrait laisser après sa  mort. Et à la toute fin de la cérémonie, après que le Vénérable Maître l’eut invité à scruter  l’assemblée à la recherche d’éventuels ennemis, celui qui vint tout juste de recevoir la lumière est  prié de se retourner pour se retrouver… face au miroir. Nous avons tous été marqués par cette scène  et nous en avons tous un souvenir aigu ancré dans notre mémoire. Souvenez-vous de votre réaction  à ce moment précis, le jour de votre initiation. Pour ma part, je me rappelle avoir été stupéfait de  découvrir mon image, comme si c’était la première fois que je me voyais, alors que les paroles du  Vénérable Maître résonnaient à mes oreilles : « Notre plus grand ennemi est souvent en nous-mêmes  et il nous faut d’abord combattre nos erreurs, nos préjugés et nos passions ». La confrontation est  sans complaisance et le message est clair !  

Combattre nos passions et se connaître soi-même. Car oui, le miroir possède une fonction équivoque  et paradoxale, entre séduction et connaissance, entre illusion et révélation. Il est un médium  ambivalent pour de nombreux héros populaires : pour Alice de l’autre côté du miroir, pour Harry  Potter, pour Néo dans Matrix, pour la méchante reine de Blanche-Neige, et de façon indirecte pour  Dorian Grey. Il a aussi une fonction moralisatrice : il permet à celui qui est content de sa beauté à  veiller attentivement à ne pas gâter ses avantages corporels par de mauvaises mœurs et à celui qui a  été moins comblé par la nature à compenser sa laideur physique par la beauté de sa vertu. Le miroir  me fait aussi penser à ce dicton japonais qui dit, je cite : « Vous avez trois visages. Le premier visage,  vous le montrez au monde. Le deuxième visage, vous le montrez à vos amis proches et à votre famille.  Le troisième visage, vous ne le montrez jamais à personne : il est le reflet de ce qu’il y a le plus vrai en  vous. » Fin de citation.  

Car un miroir ne triche pas : que nous soyons beau ou laid, que nous soyons Narcisse ou Méduse face  au reflet de l’eau pour l’un ou face au bouclier de Persée pour l’autre, chacun de nous n’a pas d’autre  choix que d’affronter la vérité, d’affronter le tragique de sa condition et de faire son examen de  conscience. Pour nous francs-maçons, la scène du miroir est comme un seuil à partir duquel celui qui  vient tout juste de recevoir la lumière peut entamer son propre chemin initiatique ; elle possède ce  potentiel de transformation qui invite à nous placer sur le chemin de la sagesse sous le regard  distancié de… notre propre regard, pour peu que nous ayons les yeux et l’esprit vraiment ouverts. Le  miroir est, à ce moment précis, comme une fenêtre ouverte sur un autre monde, un monde d’esprit  et de raison, un monde de lumière et de révélation.  

Je vous avouerais que, toutes les fois que j’assiste à une initiation, la scène du miroir est pour moi LE  moment où l’émotion est à son comble et je ne peux m’empêcher de réprimer une larme. C’est en  écrivant cette planche que j’ai réalisé pourquoi : car c’est à ce moment précis que je reconnais le  néophyte comme mon frère ou ma sœur. Et c’est encore ce qui est arrivé vendredi dernier, lors de  l’initiation de notre nouveau frère Samuel. Oui, la scène du miroir marque le premier arrachement à  la vie profane et le véritable commencement de la vie maçonnique, qui désormais ne s’arrêtera plus.  

J’ai dit.

Être républicain

Vénérable Maître

Mes très chères sœurs, mes très chers frères en vos grades et qualités.

L’idée de mon intervention (symbolique) de ce soir m’est venue, de notre tradition d’exclamer « Vive la République » comme derniers mots de chacune de nos tenues ; du moins au Grand Orient.

Belle affirmation : Le Franc-maçon serait donc de fait un Républicain ?

Mais c’est quoi « Être républicain » ?

C’est connaitre et reconnaitre toute la valeur et la portée de l’article 2 de notre Constitution : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». 

Tout d’abord, rappelons-le : Être « républicain » n’a pas toujours voulu dire la même chose depuis la Première République née en 1792. 

Nous le savons.

Ne prenons qu’un exemple ou deux, historiquement si proches mais à la fois si lointain au regard de notre présent et des valeurs qui ont cours aujourd’hui : Vers 1900, un républicain était opposé au droit de vote des femmes.

Pourquoi ?

Parce que celles-ci, catholiques plus que les hommes, étaient censées être soumises d’avantage à l’Église,  fort peu républicaine. 

Cela fait sourire…

Pourtant, il fallut attendre 1944 et le gouvernement provisoire du général de Gaulle pour instaurer ce droit égalitaire. 

On pourrait aussi évoquer le patriotisme et même un certain nationalisme dans la conviction des républicains, aux yeux desquels la France, phare de l’humanité, avait pour mission d’éclairer le monde… 

Charmant concept ; mais qui pour partie explique notamment la justification de la colonisation par de bons républicains comme Jules Ferry, par exemple !

Et c’est la Première Guerre Mondiale qui ébranlera ces convictions, en faveur du pacifisme. 

La décolonisation, elle, attendra les années 1960.

Bref, nous le voyons le contenu du modèle républicain, a pu se modifier au cours de l’histoire de ces deux derniers siècles de sa courte vie !

Il demeure cependant, quelques invariants qui constituent un socle toujours d’actualité.

Le républicain prend donc très au sérieux tous les termes de l’article 2 de notre Constitution : 

Je le cite à nouveau, rien que pour le plaisir.

« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Une petite révision donc :

1. Indivisible, la France forme une nation dont chaque membre, individuel ou collectif, est subordonné à une communauté politique, à un vouloir-vivre-ensemble qui récuse les particularismes, les séparatismes, aussi bien que les individualismes et les corporatismes ignorant le bien commun et l’intérêt général. 

À cet égard, la politique linguistique des régimes républicains illustre ce principe d’indivisibilité, non sans dureté, comme on le voit dès la Révolution en lisant le Rapport de l’abbé Grégoire à la Convention : je le cite, « sur la nécessité d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ».

On ne parle pas du Franglais, ni du Globish. Dommage !

2. Laïque, la République s’est affirmée historiquement à l’encontre du pouvoir ancestral de l’Église catholique, en affirmant l’indépendance du pouvoir politique par rapport à tout pouvoir religieux. 

« Comment, s’exclamait Gambetta au moment où le régime républicain devait combattre le pouvoir clérical pour s’établir… comment (donc) pourrait-on établir la paix entre l’Église qui revendique la domination universelle et la démocratie qui veut affranchir les consciences, et émanciper l’homme ? » 

La laïcité, est née dans ces années de combat, 

et elle est la marque propre de la République française 

D’ailleurs, le mot de laïcité, n’existe guère dans les autres langues (seulement en turc depuis Atatürk et en espagnol du Mexique). 

Deux grandes décisions législatives ont établi la laïcité républicaine : -les lois scolaires des années 1880 qui ont retiré de l’école publique l’enseignement religieux 

-et la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 qui assure la liberté de conscience mais ne privilégie ni ne subventionne aucun culte. 

La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école s’inscrit dans la droite ligne de cette doctrine laïque qui affirme la liberté religieuse pourvu que sa manifestation, énonce l’article 10 des Droits de l’Homme et du Citoyen, « (que sa manifestation donc) ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». 

Les modalités de l’application du principe font débat aujourd’hui à propos de l’islam, mais le principe de laïcité est et reste intangible pour un républicain.

3. Démocratique, la République repose sur le suffrage universel (certes malmené), sur les libertés publiques et sur l’égalité entre tous les citoyens (certes, à nouveau,  très malmenées) , et tout cela quel que soit leur sexe, leur religion, leur profession. 

La conscience démocratique n’est pas innée. Pour les républicains, il appartient à l’école gratuite, obligatoire et laïque de la former : il n’y a pas de République sans éducation civique. 

La République démocratique est fondée sur des individus devenus des citoyens par la conscience acquise de « l’interdépendance humaine », selon la formule chère au philosophe républicain Charles Renouvier.

4. Sociale, enfin, la République s’assigne le devoir d’assurer l’éducation (l’école gratuite), la sécurité et la promotion des citoyens par des lois et des institutions qui ont été progressivement mises en place (impôt sur le revenu, durée légale du travail, Sécurité sociale, assurance chômage, aides sociales aux familles, RMI et RSA, etc.). 

Notons au passages que les doctrinaires de la République n’étaient pas, pour autant, socialistes au sens strict, car aux yeux des républicains : le collectivisme, synonyme de nivellement, ne pouvait être instauré que par la privation des libertés individuelles. Incompatible avec l’idée de république !

Ils sont cependant partisans de l’intervention de l’État en faveur de la justice sociale.

Cette modeste révision achevée, on ne pourrait pas conclure sans rappeler que : la République n’est pas seulement un type de régime politique ; elle a été une foi, une « mystique », écrivait même Charles Péguy ; Et elle s’apparente à une forme d’utopie : « l’idée de progrès » ; dont Condorcet, philosophe républicain, a été le prophète. 

Non seulement le progrès des sciences et des techniques,  celui des connaissances en tous ordres, mais aussi le progrès moral et politique. 

Puisant dans l’histoire des étapes du progrès humain,  en dépit de tous les obstacles qui s’y sont opposés,  de toutes les régressions qui ont eu lieu, Condorcet manifeste une foi inébranlable dans l’avenir. 

Le travail de la raison et son universalisation devaient aboutir, selon lui, à un bonheur collectif jusque-là inconnu.

Cette vision positive de l’avenir et du progrès a été profondément taillée en brèche par deux guerres mondiales,  les génocides, 

et les échecs répétés de l’ONU à maintenir la concorde entre les peuples. 

Néanmoins, avec force, nuances et réserves,  un républicain refuse le passéisme,  conteste l’illusion que « c’était mieux avant »,  et ne se résigne pas aux prédictions réactionnaires. 

Le républicain d’aujourd’hui, certes, balance entre l’optimisme tragique et le pessimisme actif. 

Il sait que l’Histoire n’aura pas de happy end, il ne se leurre plus sur la bonté naturelle des hommes ; mais il entend continuer d’œuvrer à l’amélioration de leur condition : contre l’esclavage,  contre la misère, 

contre l’assujettissement des femmes,  contre l’esprit de conquête et de domination, contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 

contre l’ignorance,  contre les bourrages de crâne qui enchaînent  et les obscurantismes qui asservissent. 

Quel programme !

Le Franc-Maçon est un Républicain.

Vive la République.

J’ai dit.

Planche Chapitre 2 : le mythe rosicrucien

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 2 : le mythe rosicrucien

Ce mythe que l’on pourrait aussi appeler hermétiste ou alchimiste existe bien mais même s’il n’a pas de fondement réel, il n’est pas sans signification.

Ce mythe est apparu en Allemagne à partir de 3 textes publiés au début du 17ème siècle (1614).

Dans ces textes il est affirmé l’existence à travers toute l’Europe d’une fraternité qui s’adressait à tous les hommes de science et à tous ceux qui appelaient de leurs vœux une nouvelle réforme.

Les écrits des frères dits de la Rose-Croix annonçaient que leur philosophie était le fondement et la substance de toutes les facultés, de toutes les sciences, de tous les arts. Évidemment, un dessin si élevé annonçait la venue d’un temps fondamentalement nouveau. Dans un autre texte vers 1619, était mis en scène une cité improbable où les chrétiens authentiques appliquaient les vrais principes de l’Évangile dans l’amour et la Concorde.

La première certitude que nous avons aujourd’hui c’est qu’il n’exista jamais de fraternité de la Rose-Croix. C’était avant tout une fiction littéraire écrite par un certain Johan Valentin Andreae, qui en avait fait une sorte de supercherie, une sorte de plaisanterie. Ce n’est qu’à la fin du 17e siècle que l’on découvrit, dans son autobiographie posthume, que l’auteur expliquait la supercherie qu’il avait mise en place. En fait l’auteur appartenait à un cercle de jeunes intellectuels de Tübingen qui se désolait de la déchirure de la réforme et des violences vécues alors par les peuples d’Europe au nom des lois évangéliques. Il prônait une ouverture du protestantisme qui lui aussi tendait à se refermer sur des positions figées et intolérantes. 

Et dans ces mêmes cercles estudiantins certains s’intéressaient au courant hermétiste qui connaissait alors un certain succès en Europe et qui souhaitait au sein de la réforme redonner des tendances mystiques que le Luthéranisme officiel avait combattu très durement.

Ce mouvement se développa donc surtout en Allemagne et eu une certaine influence en Grande-Bretagne. En revanche, la France fut peu touchée par ce mouvement en dehors de quelques remous soulevés par l’affaire dit des placards affichés dans Paris en juillet 1623 dans lequel on retrouve certains éléments de cette doctrine. On pense aujourd’hui qu’il s’agissait probablement d’un autre canular, dû cette fois-ci à des étudiants en médecine.

Cependant les idées propagées à cette époque sous la forme donc de thème Rosicrucien apparaissent dans certains livres. On ne peut manquer de voir dans l’œuvre du philosophe Francis Bacon, ‘’la nouvelle Atlantide’’, publiée en 1627, une utopie rosicrucienne typique. Puisque dans son livre il y est décrit un peuple ayant édifié une société inconnue du reste du monde, où les hommes vivent la pratique évangélique de l’amour fraternel.

Cette œuvre eut un retentissement important dans divers milieux intellectuels. En Angleterre il fut considéré à l’époque purement et simplement comme un manifeste rosicrucien. Évidemment, ce mouvement intellectuel n’épargna pas non plus la petite et lointaine Écosse. Dans la première moitié du 18e siècle, l’expression rose-croix avait donc fait son chemin et elle était devenue une appellation rigoureusement non protégée. Elle servait à désigner à peu près tout ce qui relevait de l’occulte, du mystérieux, depuis les superstitions populaires, en passant par la magie, les arts divinatoires et bien sûr l’alchimie. Les cercles rosicruciens proprement dits en fréquent compagnonnage avec la franc-maçonnerie, mais bien distincte d’elle, ce sont structurés en plusieurs temps au cours du 18ème siècle et on trouve vers 1757, l’existence de petits groupes organisés et entre 1777 et 1786, un ordre véritable va apparaître sous le nom d’ordre de la Rose-Croix d’or d’anciens systèmes. Les rituels nous sont en partie parvenus et ont été étudiés. Ils ont condensé tout ce qui a trait à l’hermétisme et à la kabbale en adoptant la révélation chrétienne comme fil conducteur. Cette société prospéra surtout en Allemagne et en Europe du Nord avec peut-être jusqu’à 1000 adeptes mais ne vécut pas au-delà de 1785.

Parmi ces rose-Croix d’or, on comptait d’assez nombreux francs-maçons aux appartenances multiples. Mais les rapports de la Rose-Croix avec la maçonnerie sont donc moins de l’ordre de la filiation ou de l’héritage que de celui de la construction d’un imaginaire. 

Pour être clair il n’est guère possible aujourd’hui de soutenir que la Rose-Croix a été à l’origine de la maçonnerie spéculative. Il apparaît néanmoins que certains milieux maçonniques reprirent parfois le thème de la Rose-Croix notamment par exemple on peut évoquer le grade de souverain Prince ou Chevalier de Rose-Croix qui pendant longtemps a été tenu pour le Nec-Plus-Ultra de la maçonnerie française.

En conclusion, il a pu apparaître que le message des frères de la Rose-Croix pouvait répondre à cette attente diffuse de l’esprit évangélique. Et que d’aucuns, un peu partout en Europe, se reconnurent dans cet appel. Et cela laisse place évidemment au mythe qui vit encore.

Le fil à plomb

« Toute conduite doit être conforme au fil à plomb. ». Cette courte citation date de plus de trois  millénaires. Elle a été écrite dans un recueil de maximes par Ptahhotep, vizir et philosophe égyptien,  qui a vécu autour de 2400 avant J.-C.  

Dans l’art des bâtisseurs, le fil à plomb sert à vérifier la verticalité d’une construction. Il se révèle être  l’instrument le plus simple du maçon : formé d’une masse suspendue à un fil, il pointe vers le bas et,  grâce à la loi de la gravité, il nous montre sans ambiguïté le centre de la Terre.  

Métaphoriquement, il nous invite à plonger au cœur de nous-mêmes, à faire notre introspection en  profondeur. Le fil à plomb est le prolongement direct de la formule VITRIOL « Visite l’intérieur de la  terre et en rectifiant, tu trouveras la pierre cachée », affichée dans le cabinet de réflexion. Le fil à plomb montre la voie qui mène à la conscience, à la compréhension, à la connaissance. Mais  attention : comme tout symbole, il ne fait que montrer la voie. Démocrite, considéré par certains  comme étant le père de la science moderne, écrivait : « En réalité, nous ne savons rien, car la vérité  est au fond du puits ». Par cette formule, il nous demande de cultiver notre sens critique car la ligne  verticale du fil à plomb, du zénith au nadir, du ciel jusqu’au fond du puits, symbolise certes la rigueur,  mais aussi le doute indispensable à tout franc-maçon qui entreprend de rechercher la vérité. La  vérité est-elle au fond du puits encore trouble ? Peut-être. Mais elle est plus certainement au fond  du maçon lui-même.  

Rechercher la vérité… Tiens tiens… Ça me dit quelque-chose.  

Alors poursuivons. Le fil à plomb possède un autre sens symbolique : par son indéfectible verticalité,  il ne dévie jamais ; il ne ment jamais car les lois de la physique sont têtues. Jamais le fil ne prendra un  autre chemin que celui du centre de la Terre. La direction qu’il montre nous invite  métaphoriquement à sonder la rectitude qui réside en nous, à interroger notre volonté, à cultiver  une forme de perfection. Elle nous pousse à réfléchir à une éthique exigeante, à rechercher une  élévation morale qui ne peut s’opérer que dans l’écoute, la solitude et le silence.  

Recherche de la vérité, étude de la morale… Ça y est ! Vous me voyez venir avec mes gros sabots…  

Et bien poussons le bouchon un peu plus loin en observant le symbole du 1er surveillant, celui qui est brodé sur le sautoir de notre cher F. Est-ce aussi un fil à plomb ? Presque ! Vu de loin, ça y  ressemble. Mais non, c’est un niveau, et plus précisément un niveau égyptien. C’est un assemblage  de segments en forme d’A majuscule, du sommet duquel est suspendu un fil à plomb. Si ce dernier  croise la barre du A en son centre, alors l’horizontalité de la construction est vérifiée. Conçu ainsi, le  niveau est une forme plus élaborée du fil à plomb. Il en est son prolongement logique tout comme le  grade de compagnon est le prolongement logique du grade d’apprenti. Mais le niveau est bien plus  que cela : il symbolise aussi l’égalité entre nous tous, l’égalité entre tous les frères et sœurs,  apprentis, compagnons ou maîtres de cette loge ; il symbolise la fraternité qui nous lie.  

Ainsi, à travers cette courte et modeste interprétation toute personnelle, les trois objectifs  fondamentaux de notre ordre s’avèrent symboliquement réunis dans cet outil simplissime, formé  uniquement d’une petite masse reliée à un fil. Car après la recherche de la vérité et l’étude de la  morale, la solidarité et la fraternité ne sont pas étrangères non plus à l’allégorie du fil à plomb. Cela en dit long sur les possibilités quasi-infinies de la signification des symboles qu’il me sera donné à explorer désormais au début de chaque tenue.  

Mais ne bavardons pas inutilement : le fil à plomb n’est pas le seul outil à contenir toute la  symbolique de la pensée et de l’action des maçons, qu’ils soient opératifs ou spéculatifs !  

Car sinon, je puis vous assurer que l’architecte de la tour de Pise aurait sérieusement revu son  projet !  

J’ai dit.

Planche Chapitre 1 : le mythe templier.

Nouvelle histoire des Francs-maçons en France

Des origines à nos jours

Par Alain Bauer et Roger Dachez édition Tallandier 2018

Résumé

Chapitre 1 : le mythe templier.

Une certaine littérature friande de sensationnel et de révélation mystérieuse, nous a habitué à établir une relation étroite entre la franc-maçonnerie et l’ordre du temple. 

Celui-ci fut aboli en 1312 sous les coups conjugués du roi de France Philippe Lebel et du Pape Clément 5. L’idée que cet ordre aurait persisté secrètement en donnant naissance à la franc-maçonnerie semble s’être formé dans le premier tiers du 18ème siècle. Mais elle s’est constituée en 2 temps.

Dans un premier temps, il a été affirmé l’innocence de l’ordre martyr. C’est une opinion généralement propagée dès le milieu du 17e siècle. Elle est surtout transmise dans des ouvrages qui eurent un grand renom et qui décrivent les ordres de chevalerie dont beaucoup sont légendaires. Mais avec de nombreuses illustrations des costumes, des uniformes, des croix, des décorations, l’impact de cette littérature sur le public fut grand. On ne peut douter aujourd’hui qu’elle est fortement influencée et suscitée l’introduction du thème chevaleresque dans l’imaginaire maçonnique qui se structure à la même époque. Il y eut sans doute dès les années 1730, une chevalerie spéculative s’inspirant de l’idéal présumé. De l’ancienne chevalerie opérative il est du reste établi que le rituel, la vêture et les décors de certains grades maçonniques et chevaleresques, qui verront le jour dans les décennies suivantes, furent directement copiés sur les documents publiés dans ces ouvrages. En parallèle beaucoup eurent la conviction qu’un enseignement secret et ésotérique était dispensé aux Templiers. 

Lors de la condamnation du temple, ces biens furent pour l’essentiel dévolu à l’ordre hospitalier de Saint Jean. Et les Templiers eux-mêmes furent traités le plus souvent avec modération. Certains restèrent sur place dans l’ancienne commanderie nouvellement affectée à l’hôpital à l’endroit même où ils avaient vécu le plus clair de leur vie. Quant à ce prétendu secret des Templiers, l’origine des rumeurs est assez facile à trouver. On sait, en effet, que lors du procès des Templiers, on fit grand cas des pratiques impudiques et sacrilèges que les Templiers auraient imposé à ceux qui les liaient à l’ordre. Il est à peu près certain que ces usages furent assez souvent observés. Des Templiers eux-mêmes ont expliqué qu’il s’agissait de mise à l’épreuve délibérée de rites choquants destinés à évoquer dans la conscience du nouveau templier les rudes combats et les engagements extrêmes auxquels ils seraient confrontés dans leurs luttes sans merci contre les infidèles. Au reste il était fréquent que, devant le refus voire la réticence habituelle des novices, on se contenta d’un simulacre. À part un bizutage un peu rude, rien du moins qui atteste d’une supposée doctrine secrète du temple.

Une seconde étape a été franchie lorsque le thème de la chevalerie fit irruption dans la franc-maçonnerie. En effet, dès 1723, une mention furtive indique dans les constitutions publiées par James Anderson cette origine. Cette thèse, évidemment, est de toute façon hautement fantaisiste notamment quand le pasteur Anderson écrit que la plupart des grands hommes étaient maçons, ce qui, historiquement n’avait à l’époque, et même maintenant, proprement aucun sens. C’est en France vers le milieu de la décennie 1730 que les choses semblent se préciser. L’homme qui va le premier établir dans un texte promis à un grand destin, un lien entre la chevalerie et la franc-maçonnerie est André-Michel de Ramsay. Il fit à la fin de l’année 1736 un discours qui fut largement connu, diffusé, lu et relu. Au point qu’il fut un peu comme la déclaration de principe et le programme intellectuel d’une très grande partie de la maçonnerie française au 18e siècle.

Dans ce récit on en tire 3 enseignements. Le premier c’est que Ramsey récuse clairement toute origine ouvrière et corporative de la maçonnerie. En deuxième lieu, il renonce à toute mythologie biblique. Enfin il est dit très clairement que la franc-maçonnerie serait le résultat de l’union avec un ordre de chevalerie, en l’occurrence, celui de Saint-Jean-De-Jérusalem, c’est-à-dire des hospitaliers. La thèse qu’il propose s’impose immédiatement et formera dès cette époque précisément la trame, par exemple, du premier grade chevaleresque dans l’histoire maçonnique. Le thème de la chevalerie était dans l’air du temps avant que de pénétrer dans celui des loges. Ce n’est qu’une fois ce premier pas franchi, qu’une douzaine d’années après le discours de Ramsay qu’apparaît enfin le plus ancien rituel maçonnique faisant état d’une origine exclusivement templière de la franc-maçonnerie. C’est dans un rituel appelé le rituel de Quimper, découvert seulement en 1997 que nous est révélé par exemple le grade de chevalier élu. Dans ce rituel une instruction très détaillée révèle aux candidats trois secrets inédits. Le premier est que les chevaliers élus, donc les maçons, forment une élite descendant des Templiers. Le deuxième secret est que ces derniers ne faisaient que poursuivre une longue lignée d’initiés remontant notamment aux esséniens. Le troisième secret est que la jonction entre la maçonnerie et les Templiers s’était fait en Écosse. Ce tableau est saisissant. Car on voit que dès cette époque, tous les éléments de la légende templière de la maçonnerie sont posés. Les grades d’inspiration templière qui apparaîtront ensuite ne feront que broder sur ce thème, arranger les détails et liés l’ensemble.

Cette légende va avoir une fortune assez grande. Trois grandes familles vont dériver de ce modèle. La première est donc la stricte observance templière en Allemagne. La deuxième aboutit au chevalier kadoch qu’on retrouve au 30ème grade du rite écossais ancien et accepté. Et la troisième la néo-chevalerie, extraordinaire destin de l’ordre du néo temple de Fabré-Palaprat qui, sous le premier empire, connaîtra de beaux jours et organisera même de fastueuses réceptions à Paris.

En guise de conclusion : si l’ordre du temple, le vrai, fut de bout en bout, essentiellement français, cela n’est pas douteux. Ce n’est pourtant pas par son intermédiaire que la franc-maçonnerie est née, que ce soit en France, avec les corporations ou en Écosse. Mais il est vrai que l’essentiel en la matière n’est pas la vérité de l’histoire, mais la vérité d’un désir de rattachement à une origine mythique, à la fois prestigieuse et secrète.

Planche / 5 minutes de symbolisme sur l’altérité

Vénérable Maître et vous tous mes Frères et mes Sœurs en vos grades et qualité.
Entre l’altruisme où l’on donne tout à l’autre, sans rien en attendre en retour et l’égoïsme, où l’on n’a rien à lui donner, il existe une valeur qui me fait toujours réfléchir, et que je voudrais faire mienne plus souvent. On l’a définie comme un concept d’origine philosophique signifiant « caractère de ce qui est autre » et « la reconnaissance de l’autre dans sa différence », la différence s’entendant ethnique, sociale, culturelle ou religieuse. Proche de la tolérance, mais plus singulière, elle nous permet donc de prendre conscience à la fois des différences et des similitudes de l’autre. Elle est, en quelque sorte, le ciment de toute construction humaine, car elle est forcément réciproque. Ce soir, je vous parle de l’altérité.
Cette valeur, plus qu’un simple concept, je la trouve bien résumée, dans cette jolie phrase, entendue un jour : « Le plus beau des trésors n’est pas celui que possède l’autre, mais celui que l’on a au fond de soi et que l’autre nous aide à découvrir. »
Des philosophes comme Emmanuel Levinas ont beaucoup réfléchi sur l’altérité et montré que les échanges que nous avons avec les autres se déploient selon le double registre de la reconnaissance et de la découverte. L’altérité est bien ce qui nous ouvre à autrui, ce qui nous enrichit. Nous ne pouvons jamais totalement connaître l’autre, et il faut accepter que quelque chose en lui nous échappe. Inversement, il y a de l’identification dans l’autre, qui est, comme nous, un être humain. Le danger serait de considérer que les autres n’ont rien de commun avec nous et que nous n’avons rien à échanger ni à faire avec eux. À terme, on ne verrait plus alors la société que comme une juxtaposition de communautés entre lesquels le dialogue serait impossible. Cette crainte est malheureusement aujourd’hui en passe de devenir réalité dans beaucoup de domaines : culturel, social, politique ou religieux évidemment.
Mais quel plus bel exemple pour illustrer l’altérité, mes Frères et mes Sœurs, que celui de nos retrouvailles dans ce Temple tous les 15 jours…
Car avant d’y pénétrer, bien que réunis sur le parvis, nous ne sommes que des individualités certes bienveillantes, mais encore agitées par les turbulences du monde profane.
Différents les uns des autres, composés chacun de multiples facettes, nous décidons alors de quitter le monde profane, d’oublier la réalité qui nous entoure, afin de pénétrer, l’espace de quelques heures, dans un lieu où l’individuel va se dépasser pour faire revivre un groupe et recréer l’Egrégore. Nous passons d’un être commun à un être plus authentique, déjà loin du monde profane et qui va participer à l’installation du Temple, tous unis par une même volonté.
Le temps devient alors symbolique.
Le passage de l’individu au groupe se fait, vous le savez, grâce à la pratique rigoureuse de notre rituel.
Grâce à lui, nous passons d’un être unique à un être collectif et solidaire malgré notre diversité. Cette union sacrée va renaître en un seul corps – notre Loge – dont la plus belle se trouve dans la chaîne d’union. Mais, cela n’est possible que par la volonté de remise en question de chacun de nous afin de nous éloigner de tout immobilisme qui nous enfermerait dans une léthargie néfaste à notre évolution spirituelle.

Mais ce que nous réussissons si bien dans la vie maçonnique, est plus difficile dans la vie profane. L’Autre, comme l’on dit, ne se laisse pas appréhender facilement, il est tout à la fois proche et lointain, semblable et différent. Les mots dont on dispose pour définir ce qui n’est pas soi correspond au type de relation que l’on invente entre nous : étranger, connaissance, relation, ami, proche, partenaire… Nommer l’Autre est une façon de choisir le type d’altérité que nous construisons. Ce choix de vocabulaire se révèle rarement neutre et implique une distance plus ou moins forte entre celui-là et nous. Dans la reconnaissance de l’Autre, il y a effectivement le reflet inconscient, plus ou moins éloigné, de nous-même.
Finalement, nous vivons entourés d’autres semblables, dans une société riche de sa diversité, dont nous essayons de maintenir la cohésion, même si la coexistence entre tous demeure fragile.
Heureusement notre cadre républicain français nous y aide, car il repose sur l’idée d’une nation de citoyens tous égaux en droits, quels que soient leur religion ou leurs convictions philosophiques, leur origine, leur sexe, leur classe sociale. Bref, il est par nature « intégrateur », et permet de dépasser nos frontières personnelles par la rencontre, le dialogue et l’interconnaissance. Les différences peuvent alors devenir une source d’enrichissement mutuel sans créer de réaction de rejet ni aboutir à un éclatement de notre corps social.
Je laisse le mot de la fin à Albert Jacquard qui a beaucoup travaillé sur ce « fameux rapport aux autres » : « Respecter autrui, c’est le considérer comme une partie de soi, ce qui correspond à une évidence si l’on accepte la définition : Je suis les liens que je tisse avec les autres. »
J’ai dit.

Planche / 5 minutes de symbolisme sur la lecture

Vénérable Maître et vous tous mes Frères et mes Sœurs en vos grades et qualités.

Chacun s’accorde à reconnaitre que pour faire preuve de bienveillance, il est toutefois nécessaire d’avoir un minimum d’empathie. Comprendre les émotions de l’autre, ainsi que sa manière de vivre une situation, est le premier chemin pour éviter ou – limiter à minima – les conflits relationnels. L’actualité nous montre une fois de plus l’urgence de cultiver et même de développer notre capacité à voir les choses du point de vue d’autrui, plutôt qu’en permanence du nôtre.

Mais l’empathie n’est pas un sentiment inné, elle relève bien évidemment de la sensibilité de chacun. Des recherches semblent démontrer d’ailleurs que les femmes seraient légèrement plus empathiques que les hommes. Ses mêmes recherches laissent à penser que la génétique peut parfois jouer un rôle. Il n’en demeure pas moins vrai que l’empathie doit se construire dès notre prime jeunesse. En ce sens, l’éducation et les diverses expériences de vie sont de bons vecteurs. Mais est-ce suffisant ? Probablement pas, au vue des conflits relationnels d’aujourd’hui : au-sein des familles, entre voisins, dans l’entreprise, en politique et ce qui est encore plus grave, vu les conséquences dramatiques que cela engendre, entre les Etats ou pire encore entre les Religions.

Mes Frères et mes Sœurs, vous allez me dire à juste titre, que tout cela nous dépasse largement. Oui et non. Car il existe une activité simple, naturelle, qui était largement pratiquée jadis, et qui est tombée en désuétude peu à peu. Sans doute la seule activité où l’on peut se mettre totalement à la place de l’autre. Si bien le comprendre que l’on s’approprie sa personnalité, sa façon de penser, on s’identifie à cet autre qui nous devient ainsi familier.

Il s’agit tout simplement de la lecture. Et si on redonnait enfin au livre, le premier rôle dans l’histoire de notre éducation ? Et je dis bien au livre, le livre ! Car chacun, petit et grand, lit au quotidien, des « posts » sur les réseaux sociaux, les bandeaux en continu des chaines d’infos, les « blogs » d’influenceurs, des commentaires sur tout et rien, parfois quelques mangas, que sais- je encore ? Mais tous les contenus ne se valent pas et l’image ne remplacera jamais le texte. Car se sont d’abord les mots qui créent la situation, l’histoire et l’aventure qui va peu à peu nous emmener en voyage. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ces contenus sont sans intérêt et doivent être bannis, mais ils sont insuffisants pour une construction équilibrée de notre personnalité.

Souvenons-nous des romans de la bibliothèque rose ou verte, des épopées magnifiques d’Alexandre Dumas, de Jules Verne ou de Paul Féval, de la série « Contes et légendes » publiée chez Nathan que nous dévorions avec avidité, parfois effroi, mais toujours avec plaisir et bonheur. Ces personnages au caractère complexe auxquels on s’identifiait, ont eu des effets positifs sur la construction de nos aptitudes sociales, et de notre intelligence relationnelle. Il n’est plus à démontrer que la lecture nourrit nos émotions, notre imaginaire et notre créativité, elle construit notre avenir, tout en prenant en compte les conséquences que peuvent avoir nos actes sur les autres.

L’équation est simple : peu ou pas de lecture, ce n’est donc pas assez de vocabulaire pour comprendre le sens des mots. Même si le mot nous est inconnu, le contexte peut nous permettre de le comprendre et c’est comme cela que l’on développe son champ lexical. Les mots ont le pouvoir de mettre en mouvement notre pensée et notre imagination, ce sont les piliers de toute communication. Difficile sans eux de discuter, d’argumenter, d’expliquer, d’échanger, de transmettre …

Ainsi démuni, l’Homme n’a plus qu’une issue pour se faire écouter et imposer son avis qu’il juge forcément juste, la violence verbale ou pire encore l’action physique. Combien de conflits entre individus auraient pu être désamorcer avec sans doute un peu plus de mots ? L’importance des livres et leur puissance est bien connue, n’ont-ils pas toujours été une des premières cibles des dictateurs ?

Les enquêtes les plus récentes montrent un effondrement de la lecture dans les pays occidentaux, en particulier chez les jeunes (enfants et adolescents). D’autres études précisent que plus de 50% des collégiens ne lisent que s’ils y sont obligés et que 30% d’entre eux affirment que lire ne sert à rien. J’ai lu récemment un article dans un hebdomadaire sur les loisirs « post covid » des familles en France, la lecture n’y apparait pas. Pire encore, le journaliste concluait son article en indiquant qu’aujourd’hui, il n’était plus indispensable de lire pour engranger des connaissances puisque l’on pouvait s’en remettre facilement à Google et demain à Chat GPT ?

Peu importe notre âge, nos moyens ou notre situation, la lecture, au-delà de nous procurer du plaisir, est le meilleur des élixirs qui existe pour nous aider à vivre avec un peu plus de sagesse et de bonté, et surtout à reconnaître l’autre en lui laissant une place à côté de soi. N’est-ce pas la meilleure définition de l’empathie ?

Serge Joncour, poète humaniste, nouvelliste, scénariste et romancier, biberonné aux romans de Jules Verne, Queneau et Céline, résume tout cela en une phrase : « Lire, c’est voir le monde par mille regards, c’est toucher l’autre dans son essentiel secret, c’est la réponse providentielle à ce grand défaut que l’on a tous de n’être que soi. »

J’ai dit