Être républicain

Vénérable Maître

Mes très chères sœurs, mes très chers frères en vos grades et qualités.

L’idée de mon intervention (symbolique) de ce soir m’est venue, de notre tradition d’exclamer « Vive la République » comme derniers mots de chacune de nos tenues ; du moins au Grand Orient.

Belle affirmation : Le Franc-maçon serait donc de fait un Républicain ?

Mais c’est quoi « Être républicain » ?

C’est connaitre et reconnaitre toute la valeur et la portée de l’article 2 de notre Constitution : « La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ». 

Tout d’abord, rappelons-le : Être « républicain » n’a pas toujours voulu dire la même chose depuis la Première République née en 1792. 

Nous le savons.

Ne prenons qu’un exemple ou deux, historiquement si proches mais à la fois si lointain au regard de notre présent et des valeurs qui ont cours aujourd’hui : Vers 1900, un républicain était opposé au droit de vote des femmes.

Pourquoi ?

Parce que celles-ci, catholiques plus que les hommes, étaient censées être soumises d’avantage à l’Église,  fort peu républicaine. 

Cela fait sourire…

Pourtant, il fallut attendre 1944 et le gouvernement provisoire du général de Gaulle pour instaurer ce droit égalitaire. 

On pourrait aussi évoquer le patriotisme et même un certain nationalisme dans la conviction des républicains, aux yeux desquels la France, phare de l’humanité, avait pour mission d’éclairer le monde… 

Charmant concept ; mais qui pour partie explique notamment la justification de la colonisation par de bons républicains comme Jules Ferry, par exemple !

Et c’est la Première Guerre Mondiale qui ébranlera ces convictions, en faveur du pacifisme. 

La décolonisation, elle, attendra les années 1960.

Bref, nous le voyons le contenu du modèle républicain, a pu se modifier au cours de l’histoire de ces deux derniers siècles de sa courte vie !

Il demeure cependant, quelques invariants qui constituent un socle toujours d’actualité.

Le républicain prend donc très au sérieux tous les termes de l’article 2 de notre Constitution : 

Je le cite à nouveau, rien que pour le plaisir.

« La France est une république indivisible, laïque, démocratique et sociale ».

Une petite révision donc :

1. Indivisible, la France forme une nation dont chaque membre, individuel ou collectif, est subordonné à une communauté politique, à un vouloir-vivre-ensemble qui récuse les particularismes, les séparatismes, aussi bien que les individualismes et les corporatismes ignorant le bien commun et l’intérêt général. 

À cet égard, la politique linguistique des régimes républicains illustre ce principe d’indivisibilité, non sans dureté, comme on le voit dès la Révolution en lisant le Rapport de l’abbé Grégoire à la Convention : je le cite, « sur la nécessité d’anéantir les patois et d’universaliser l’usage de la langue française ».

On ne parle pas du Franglais, ni du Globish. Dommage !

2. Laïque, la République s’est affirmée historiquement à l’encontre du pouvoir ancestral de l’Église catholique, en affirmant l’indépendance du pouvoir politique par rapport à tout pouvoir religieux. 

« Comment, s’exclamait Gambetta au moment où le régime républicain devait combattre le pouvoir clérical pour s’établir… comment (donc) pourrait-on établir la paix entre l’Église qui revendique la domination universelle et la démocratie qui veut affranchir les consciences, et émanciper l’homme ? » 

La laïcité, est née dans ces années de combat, 

et elle est la marque propre de la République française 

D’ailleurs, le mot de laïcité, n’existe guère dans les autres langues (seulement en turc depuis Atatürk et en espagnol du Mexique). 

Deux grandes décisions législatives ont établi la laïcité républicaine : -les lois scolaires des années 1880 qui ont retiré de l’école publique l’enseignement religieux 

-et la loi de Séparation des Églises et de l’État de 1905 qui assure la liberté de conscience mais ne privilégie ni ne subventionne aucun culte. 

La loi de 2004 sur l’interdiction des signes religieux à l’école s’inscrit dans la droite ligne de cette doctrine laïque qui affirme la liberté religieuse pourvu que sa manifestation, énonce l’article 10 des Droits de l’Homme et du Citoyen, « (que sa manifestation donc) ne trouble pas l’ordre public établi par la loi ». 

Les modalités de l’application du principe font débat aujourd’hui à propos de l’islam, mais le principe de laïcité est et reste intangible pour un républicain.

3. Démocratique, la République repose sur le suffrage universel (certes malmené), sur les libertés publiques et sur l’égalité entre tous les citoyens (certes, à nouveau,  très malmenées) , et tout cela quel que soit leur sexe, leur religion, leur profession. 

La conscience démocratique n’est pas innée. Pour les républicains, il appartient à l’école gratuite, obligatoire et laïque de la former : il n’y a pas de République sans éducation civique. 

La République démocratique est fondée sur des individus devenus des citoyens par la conscience acquise de « l’interdépendance humaine », selon la formule chère au philosophe républicain Charles Renouvier.

4. Sociale, enfin, la République s’assigne le devoir d’assurer l’éducation (l’école gratuite), la sécurité et la promotion des citoyens par des lois et des institutions qui ont été progressivement mises en place (impôt sur le revenu, durée légale du travail, Sécurité sociale, assurance chômage, aides sociales aux familles, RMI et RSA, etc.). 

Notons au passages que les doctrinaires de la République n’étaient pas, pour autant, socialistes au sens strict, car aux yeux des républicains : le collectivisme, synonyme de nivellement, ne pouvait être instauré que par la privation des libertés individuelles. Incompatible avec l’idée de république !

Ils sont cependant partisans de l’intervention de l’État en faveur de la justice sociale.

Cette modeste révision achevée, on ne pourrait pas conclure sans rappeler que : la République n’est pas seulement un type de régime politique ; elle a été une foi, une « mystique », écrivait même Charles Péguy ; Et elle s’apparente à une forme d’utopie : « l’idée de progrès » ; dont Condorcet, philosophe républicain, a été le prophète. 

Non seulement le progrès des sciences et des techniques,  celui des connaissances en tous ordres, mais aussi le progrès moral et politique. 

Puisant dans l’histoire des étapes du progrès humain,  en dépit de tous les obstacles qui s’y sont opposés,  de toutes les régressions qui ont eu lieu, Condorcet manifeste une foi inébranlable dans l’avenir. 

Le travail de la raison et son universalisation devaient aboutir, selon lui, à un bonheur collectif jusque-là inconnu.

Cette vision positive de l’avenir et du progrès a été profondément taillée en brèche par deux guerres mondiales,  les génocides, 

et les échecs répétés de l’ONU à maintenir la concorde entre les peuples. 

Néanmoins, avec force, nuances et réserves,  un républicain refuse le passéisme,  conteste l’illusion que « c’était mieux avant »,  et ne se résigne pas aux prédictions réactionnaires. 

Le républicain d’aujourd’hui, certes, balance entre l’optimisme tragique et le pessimisme actif. 

Il sait que l’Histoire n’aura pas de happy end, il ne se leurre plus sur la bonté naturelle des hommes ; mais il entend continuer d’œuvrer à l’amélioration de leur condition : contre l’esclavage,  contre la misère, 

contre l’assujettissement des femmes,  contre l’esprit de conquête et de domination, contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, 

contre l’ignorance,  contre les bourrages de crâne qui enchaînent  et les obscurantismes qui asservissent. 

Quel programme !

Le Franc-Maçon est un Républicain.

Vive la République.

J’ai dit.