Vénérable Maître et vous tous mes Frères et mes Sœurs en vos grades et qualités.
Chacun s’accorde à reconnaitre que pour faire preuve de bienveillance, il est toutefois nécessaire d’avoir un minimum d’empathie. Comprendre les émotions de l’autre, ainsi que sa manière de vivre une situation, est le premier chemin pour éviter ou – limiter à minima – les conflits relationnels. L’actualité nous montre une fois de plus l’urgence de cultiver et même de développer notre capacité à voir les choses du point de vue d’autrui, plutôt qu’en permanence du nôtre.
Mais l’empathie n’est pas un sentiment inné, elle relève bien évidemment de la sensibilité de chacun. Des recherches semblent démontrer d’ailleurs que les femmes seraient légèrement plus empathiques que les hommes. Ses mêmes recherches laissent à penser que la génétique peut parfois jouer un rôle. Il n’en demeure pas moins vrai que l’empathie doit se construire dès notre prime jeunesse. En ce sens, l’éducation et les diverses expériences de vie sont de bons vecteurs. Mais est-ce suffisant ? Probablement pas, au vue des conflits relationnels d’aujourd’hui : au-sein des familles, entre voisins, dans l’entreprise, en politique et ce qui est encore plus grave, vu les conséquences dramatiques que cela engendre, entre les Etats ou pire encore entre les Religions.
Mes Frères et mes Sœurs, vous allez me dire à juste titre, que tout cela nous dépasse largement. Oui et non. Car il existe une activité simple, naturelle, qui était largement pratiquée jadis, et qui est tombée en désuétude peu à peu. Sans doute la seule activité où l’on peut se mettre totalement à la place de l’autre. Si bien le comprendre que l’on s’approprie sa personnalité, sa façon de penser, on s’identifie à cet autre qui nous devient ainsi familier.
Il s’agit tout simplement de la lecture. Et si on redonnait enfin au livre, le premier rôle dans l’histoire de notre éducation ? Et je dis bien au livre, le livre ! Car chacun, petit et grand, lit au quotidien, des « posts » sur les réseaux sociaux, les bandeaux en continu des chaines d’infos, les « blogs » d’influenceurs, des commentaires sur tout et rien, parfois quelques mangas, que sais- je encore ? Mais tous les contenus ne se valent pas et l’image ne remplacera jamais le texte. Car se sont d’abord les mots qui créent la situation, l’histoire et l’aventure qui va peu à peu nous emmener en voyage. Bien sûr, cela ne veut pas dire que ces contenus sont sans intérêt et doivent être bannis, mais ils sont insuffisants pour une construction équilibrée de notre personnalité.
Souvenons-nous des romans de la bibliothèque rose ou verte, des épopées magnifiques d’Alexandre Dumas, de Jules Verne ou de Paul Féval, de la série « Contes et légendes » publiée chez Nathan que nous dévorions avec avidité, parfois effroi, mais toujours avec plaisir et bonheur. Ces personnages au caractère complexe auxquels on s’identifiait, ont eu des effets positifs sur la construction de nos aptitudes sociales, et de notre intelligence relationnelle. Il n’est plus à démontrer que la lecture nourrit nos émotions, notre imaginaire et notre créativité, elle construit notre avenir, tout en prenant en compte les conséquences que peuvent avoir nos actes sur les autres.
L’équation est simple : peu ou pas de lecture, ce n’est donc pas assez de vocabulaire pour comprendre le sens des mots. Même si le mot nous est inconnu, le contexte peut nous permettre de le comprendre et c’est comme cela que l’on développe son champ lexical. Les mots ont le pouvoir de mettre en mouvement notre pensée et notre imagination, ce sont les piliers de toute communication. Difficile sans eux de discuter, d’argumenter, d’expliquer, d’échanger, de transmettre …
Ainsi démuni, l’Homme n’a plus qu’une issue pour se faire écouter et imposer son avis qu’il juge forcément juste, la violence verbale ou pire encore l’action physique. Combien de conflits entre individus auraient pu être désamorcer avec sans doute un peu plus de mots ? L’importance des livres et leur puissance est bien connue, n’ont-ils pas toujours été une des premières cibles des dictateurs ?
Les enquêtes les plus récentes montrent un effondrement de la lecture dans les pays occidentaux, en particulier chez les jeunes (enfants et adolescents). D’autres études précisent que plus de 50% des collégiens ne lisent que s’ils y sont obligés et que 30% d’entre eux affirment que lire ne sert à rien. J’ai lu récemment un article dans un hebdomadaire sur les loisirs « post covid » des familles en France, la lecture n’y apparait pas. Pire encore, le journaliste concluait son article en indiquant qu’aujourd’hui, il n’était plus indispensable de lire pour engranger des connaissances puisque l’on pouvait s’en remettre facilement à Google et demain à Chat GPT ?
Peu importe notre âge, nos moyens ou notre situation, la lecture, au-delà de nous procurer du plaisir, est le meilleur des élixirs qui existe pour nous aider à vivre avec un peu plus de sagesse et de bonté, et surtout à reconnaître l’autre en lui laissant une place à côté de soi. N’est-ce pas la meilleure définition de l’empathie ?
Serge Joncour, poète humaniste, nouvelliste, scénariste et romancier, biberonné aux romans de Jules Verne, Queneau et Céline, résume tout cela en une phrase : « Lire, c’est voir le monde par mille regards, c’est toucher l’autre dans son essentiel secret, c’est la réponse providentielle à ce grand défaut que l’on a tous de n’être que soi. »
J’ai dit